Mais la vie est pleine de parenthèses, ou peut-être vaudrait-il mieux dire que, entre un projet et sa réalisation, il peut y avoir un laps de temps intermédiaire prolongé.
Ma propre maison me sembla aussi étrangère qu'un refuge antiatomique ou une plate-forme pétrolière.
Pour le réconforter, je lui racontai ce que Luisa m'avait dit. Je pensai que le récit de ce terrible mélodrame le passionnerait, mais il resta aussi inerte qu'un paquet abandonné à un terminal d'autobus.
Nous nous démenons toujours pour que les autres pensent du bien de nous, c'est absurde.
Garzon alluma une cigarette et rejeta la fumée avec la force d'un moteur ancien mais bien lubrifié.
Pour Garzon, cependant, cela n'avait rien de nouveau, il était habitué à côtoyer victimes et bourreaux, il savait que le délit est une substance visqueuse qui salit même si on s'est contenté de la frôler.
Tout policier ferait bien de s'acheter un chien afin de s'assurer un minimum d'amour.
- Vous voulez qu'on se tutoie ?
- Non, ça jamais, vous êtes inspectrice et moi inspecteur adjoint. Ce ne serait pas correct.
Je me mis à rire. Cet inspecteurs adjoint était complètement maboul, ou alors il était entré dans un processus ironique de dévalorisation des choses transcendantales. Il ressemblait déjà moins à cet individu raide du début qui semblait porter sur lui les tables de la Loi.
Mais le cocktail de lutte pour le bien et le pouvoir fonctionnait comme un authentique stupéfiant que je ne goûterai plus jamais.
Il aurait été raisonnable d'abandonner. Hugo conseillait toujours ce qui était raisonnable. Il me donnait la possibilité de recommencer. Mais je ne voulais pas recommencer, je voulais juste m'arrêter, laisser ma biographie suspendue à un fil, sans bornes ni éphémérides, au rebut dans une galerie souterraine. Je laissais l'action à ceux qui avaient encore de l'énergie, je me contentais de l'excipient du breuvage vital : promenades, livres, la décoration de ma nouvelle maison, films, tasses de thé...