-Je ne me mêle ni de Dieu ni de gouvernement, répondis-je. Je ne comprends pas les grands mots. L'affaire, pour moi, est fort simple. On a assassiné un pauvre bougre qui faisait son devoir. Vous vous reconnaissez coupable de cet assassinat ?
-Non, dit-il, je m'en reconnais responsable.
Je crois à la vertu de l’homme à cheval, mais il faut qu’il reste muet. S’il prononce un mot, c’est comme s’il mettait pied à terre.
Je venais de m’apercevoir que tout le pays était truqué. Les fermes n’étaient plus des fermes, les bois n’étaient plus des bois, les routes n’étaient plus des routes, les enfants n’étaient plus des enfants, dès qu’on mettait le pied dans ce pays, on tombait dans un appareil à tuer et à dévaliser. Il devait même fonctionner automatiquement, à la façon d’un estomac qui digère tout ce qui tombe dans sa panse ; en tout cas, qui s’attaque à tout ce qui tombe dans sa panse, car je n’avais pas du tout envie d’être digéré.
A peine sortis de la cour de l’auberge, le vent nous enveloppa. Nous étions encore protégés par le massif de la Sainte-Victoire, mais le ciel grondait et étincelait comme il n’est pas permis à un ciel chrétien. Il y avait mille fois plus d’étoiles qu’à l’ordinaire, et la voix de l’univers n’était certainement pas celle de l’enfant de la crèche.
Je pris par les champs. C’était le crépuscule le plus clair du monde. Le vent était de noroît et d’une violence royale : un mistral bien établi dans son septième jour, glacé, tranchant, et dont les coups allumaient dans mes yeux des lueurs vermeilles. Le ciel était vert d’un bord à l’autre, les premières étoiles s’allumaient dans un air si pur qu’elles semblaient nouvelles.