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Critique de Charybde2


À Marseille vers 1880, les dernières années de Pauline de Théus, l'héroïne du « Hussard sur le toit », racontées par son petit-fils. Un étonnant tour de force littéraire, inattendu même après coup et joliment poignant dans sa retenue légèrement ironique.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/25/note-de-lecture-mort-dun-personnage-jean-giono/

À Marseille, vers la fin du XIXème siècle, une femme âgée vit ses dernières années de vieillesse. Sous le regard curieux, tendre et finement observateur, de son petit-fils encore enfant, elle navigue dans les plis de sa mémoire de plus en plus emmurée, encore vive sans doute, mais souvent comme perdue dans le souvenir de l'amour de sa vie, le père de son fils chez qui elle vit désormais, responsable de l'Entrepôt des aveugles, une importante oeuvre de charité, et le grand-père du gamin qui l'accompagne dans les rues si fiévreuses de la cité phocéenne.

Ce grand amour se nommait Angelo Pardi, et fut colonel de hussards du royaume de Piémont-Sardaigne. C'est en Provence qu'il la rencontra jadis, elle : Pauline de Théus.

Personnage indéniablement et largement « plus grand que la vie », comme il se dira beaucoup plus tard, venue s'installer ici juste avant la vente de son domaine de la Valette, où rôdait sans doute un peu trop le fantôme de son défunt cavalier, et où la « solitude désespérée des collines » était devenue trop prégnante, elle vivote désormais gentiment, ou presque, dans cet environnement familial réduit à sa plus simple expression, où naviguent pourtant aussi, de près, la servante gentiment ivrogne appelée »Pov' fille », la jeune aveugle Caille, le docteur Lantelme (avec les autres partenaires de jeu, car que serait le Marseille de cette époque sans une partie de cartes, bien entendu ?), ou encore le concierge M. Potentine.

Tandis que de confidence en conversation surprise entre les adultes, nous apprenons peu à peu, discrètement, les moments-clé de la vie de Pauline de Théus, son panache fondamental – et celui de son fils, qui, de manière au fond tout aussi noble, se bat comme un beau diable pour améliorer le sort des aveugles placés sous sa responsabilité, nous jaugeons aussi la qualité du détachement qui s'introduit peu à peu dans la maisonnée, et ce d'autant plus que quelques plongées, judicieuses et étonnantes, vers l'avant (le futur du récit principal) viennent éclairer à point nommé certains faits qui seraient restés sinon ignorés du jeune narrateur, même rétrospectif – ou leurs interprétations les plus vraisemblables.

Publié initialement en revue en 1948, puis chez Grasset en 1949, « Mort d'un personnage » est une autre profonde curiosité (à l'image d'« Angelo », pour d'autres raisons) dans le « cycle du Hussard » de Jean Giono. Il est en effet fort peu fréquent dans la littérature, sérielle ou cyclique, d'évoquer les dernières années d'un protagoniste AVANT d'en avoir partagé les années réputées les plus « belles » avec la lectrice ou le lecteur (« le Hussard sur le toit » ne sera en effet publié qu'en 1951). Dans les séries télévisées relativement récentes, nous avons bien les exemples de Laura Palmer (« Twin Peaks »), de Nathaniel Fisher (« Six Feet Under ») ou même de Samuel Kerr (« Dix pour cent »), mais avouons que leurs rôles respectifs ne sont pas du tout aussi centraux que celui de Pauline de Théus. On sait désormais qu'initialement l'ouvrage devait prendre place dans une « décalogie du Hussard », dans laquelle il n'aurait peut-être pas constitué une telle anticipation. Mais au-delà des complexes vicissitudes éditoriales qu'a dû affronter l'auteur au sortir de la deuxième guerre mondiale (ce que nous évoquions sur ce blog à propos de « Un roi sans divertissement »), Jean Giono souhaitait bien expérimenter dans ce cycle un véritable système sophistiqué de rappels et d'échos, dans lequel, par exemple, « on pouvait faire mourir Pauline de Théus avant qu'on sût grand-chose d'elle, et aiguiser par le mode de sa mort l'intérêt que provoquerait sa vie dans les romans à venir ». Il s'agit donc bien in fine d'une vraie audace technique, grâce à laquelle nous est offerte cette rare possibilité de voir confronter un personnage d'une grandeur immense mais largement supposée au souvenir de cette grandeur et à une petitesse rapiécée faute de mieux, en un clair-obscur méditatif où l'effacement est encore entouré d'élans de noblesse et de générosité, mais pratiqués à une autre échelle, plus réduite. le roman n'en est que plus poignant et mystérieux – même si désormais la grande majorité des lectrices ou des lecteurs auront déjà fait connaissance avec Pauline et Angelo avant d'aborder « Mort d'un personnage ».

Lien : https://charybde2.wordpress...
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