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Critique de klakmuf


Rien de tel qu'un livre d'entretiens pour faire connaissance avec l'univers conceptuel d'un intellectuel de renom qui bouscule les idées communément admises. Mais attention : nous entrons en terrain meuble, les sables sont mouvants et la lumière a déserté les contrées lointaines des origines de la culture. Mieux vaut donc s'équiper un minimum avant de suivre René Girard sur son terrain : une bonne connaissance des classiques de la littérature et de la Bible est donc conseillée. Il ne faut pas avoir peur non plus des anthropologues et autres ethnologues. En revanche, tout ce qui touche à la philosophie des Lumières et à la critique du religieux ne fera que vous encombrer inutilement dans cette expédition.

Mais qui est donc RG (René Girard) ? Les premières pages nous l'apprennent : né à Avignon le 25 décembre 1923, RG est membre de l'Académie française depuis 2005. Il a étudié à l'Ecole des Chartes à Paris avant de partir enseigner aux Etats-Unis, dans plusieurs universités où il a été professeur de littérature comparée. Il s'est établi là-bas et a rejoint la prestigieuse université Stanford (qui accueillait aussi Michel Serres) en 1980, pour codiriger un programme de recherche interdisciplinaire.

Mais que veut donc RG ? Il se présente comme un interprète qui combine les données de l'anthropologie, de l'archéologie et de l'ethnologie, et qui analyse aussi les grands textes littéraires et les Ecritures chrétiennes. Et il soutient que toutes les cultures comportent des victimes et des boucs émissaires et pas seulement la culture occidentale. Ce qui suscite de vives oppositions chez les anthropologues qui le « battent froid ». Sa conversion au christianisme ne le place pas non plus « en odeur de sainteté » dans les rangs de la communauté scientifique.

Son système de pensée repose sur le mécanisme mimétique qui peut se résumer grosso modo ainsi:
• à l'origine des rapports humains, il y a le désir mimétique : on désire ce que l'autre possède ou symbolise – c'est un mécanisme triangulaire donc avec un sujet désirant, un objet de désir et un médiateur interne (qui appartient au groupe) ou externe (étranger au groupe) – l'objet du désir importe peu, c'est le désir de l'autre qui prévaut ;
• ce comportement mimétique génère une violence croissante dans le groupe qui va être canalisée par le choix aveugle d'un bouc émissaire - ce dernier polarise sur lui toutes les haines;
• le sacrifice de cette victime émissaire ramène enfin la paix et la réconciliation ;
• c'est donc le meurtre d'une victime par le groupe qui est fondateur d'une société et d'une culture humaine – ainsi naissent les mythes et apparaissent les sacrifices rituels qui viendront répéter cet évènement originel.

Nous sommes loin ici de la théorie du contrat social où les individus sont rationnels, autonomes dans leurs désirs et consentent librement à la vie en société. RG explique ensuite comment s'opère le glissement du mythe au christianisme et la différence essentielle entre les deux époques : coupable dans les mythes, la victime devient innocente dans la Bible. En définitive, l'origine de la culture est donc sacrificielle et la Bible comporte cet élément à son début. Elle opère un glissement vers la fin du sacrifice, après avoir montré son adoucissement au travers du sacrifice annulé d'Isaac. La Bible est donc porteuse d'une vision anthropologique qui révèle et refuse le mécanisme mimétique. L'auteur démontre aussi que le mécanisme mimétique se retrouve chez tous les grands auteurs en littérature, des tragiques grecs à Proust, de Shakespeare ou Cervantès à Flaubert, Stendhal ou Dostoïevski.

Ces premiers chapitres sont passionnants et RG déploie vraiment une pensée majeure, puissante et plutôt convaincante. Mais comme avec la théorie du Big-Bang sur l'origine de l'Univers, où l'on se demande qui a « craqué l'allumette », on ne peut s'empêcher de se demander d'où vient le premier désir si l'on ne désire jamais que ce que les autres désirent ? Qui donc a mis en branle le premier cette machinerie du désir mimétique ? Et n'y a-t-il donc aucune authenticité de ce désir ? L'être humain n'a-t-il aucune substance réelle pour ne pas avoir de désirs à soi ? de plus, quelle est l'universalité réelle de cette théorie : s'applique-t-elle aux peuples d'orient marqués par le jaïnisme, l'hindouisme, le bouddhisme où la non-violence, la méditation et le jeûne sont déterminants ? Là, il faut une solide culture pour en juger.

Un autre passage très intéressant est celui consacré à la théorie des premières domestications animales : pour RG, les animaux sauvages ont été domestiqués dans le but d'être sacrifiés plus que d'être apprivoisés pour leur consommation. La domestication animale qui a favorisé la sédentarisation et la croissance des groupes humains serait ainsi un sous-produit inattendu du sacrifice.

S'ensuivent pour finir de longues discussions savantes, ésotériques et parfois ennuyeuses sur la tradition orphique, sur les textes Bibliques et sur la critique de sa théorie. Sans parler du problème des méthodes de recherche employées et des preuves scientifiques de ses idées. Il explique qu'il y a tellement d'occurrences et d'itérations de ce mécanisme mimétique et du meurtre originel qu'il ne peut pas y avoir d'autres explications à l'origine de toute culture humaine. Pour lui, « la quête des origines constitue la tentative scientifique par excellence ». On en revient à l'analogie avec le Big-Bang. La conclusion en forme de pamphlet (et de coup de grâce) est la réponse de RG à RD (Régis Debray) qui lui avait dénié tout mérite scientifique et le « traitait d'homo religiosus par excellence» : nous avions décroché depuis quelque temps, nous voilà achevé !

Heureusement, ce livre est court, moins de 300 pages. Hormis les derniers chapitres, il constitue donc malgré tout une bonne entrée en matière dans le système de pensée de René Girard : le mécanisme mimétique. Cet universitaire est le penseur du désir et de la violence. Michel Serres a considéré que René Girard a fourni une théorie darwinienne de la culture, qui propose une dynamique, montre une évolution et donne une explication universelle de la culture. Mais cette théorie est loin d'être consensuelle. René Girard est rejeté par les anthropologues, qui n'aiment pas le mélange "contre nature" de l' approche scientifique et de l'exégèse des textes bibliques. Cette pensée cherche en effet à replacer le christianisme au centre de la compréhension de l'homme : « On ne peut faire une bonne théorie de l'homme qu'à partir d'une bonne théorie de Dieu » nous dit Girard...

Pour en savoir plus : http://www.rene-girard.fr/mimetique

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