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Dans une petite clinique de Zurich, l'énigmatique psychiatre Gaustine imagine une façon de déclencher la mémoire des malades Alzheimer. Grâce au décor de leur chambre ses patients peuvent se replonger dans leurs années heureuses et ainsi fuir un présent qui ne s'imprime plus dans leur mémoire et par conséquent leur échappe. Mais l'idée séduisante à titre individuel devient beaucoup plus problématique quand Gaustine décide d'étendre le concept à toute l'Europe. Après l'organisation de référendum les périodes heureuses choisies par chaque état n'étant pas forcément les mêmes comment peuvent-ils vivre dans des espaces temps différents ?

Guéorgui Gospodinov, dans ce roman sur la mémoire, individuelle et collective, explore l'histoire européenne du XXe siècle et surtout celle de son pays, la Bulgarie. Une analyse intéressante qui peut-être pèche par ses nombreuses digressions et par ses références, non moins nombreuses, à l'histoire et aux spécificités bulgares qui nécessitent un minimum de connaissances sur le sujet (ce qui vous l'aurez compris n'est pas mon cas 😊). Même si elle s'est révélée un peu laborieuse, une lecture séduisante par l'inventivité d'un auteur qui offre incontestablement une nouvelle façon d'appréhender l'histoire européenne récente.
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«  La vérité , c'est que la Suisse était le pays idéal, me dis- je, à cause du degré zéro de temps. »
«  Un pays sans temps peut être très facilement habité par toutes sortes de temps »
«  C'était un travail idéal pour moi .En fin de compte, c'est ce que j'avais toujours fait: flâner dans les passages du passé [ ……] , je pouvais voyager , me balader sans but apparent, enregistrer les faits les plus insignifiants 1939, 1942 ou 1968. » .

«  de toute façon, il n'y a pas d'autre machine à remonter le temps que l'homme » .

Quelques passages de ce livre ambitieux , imaginatif qui ressemble plutôt à un essai…..

Et s'il devenait possible de retrouver son passé ?
Depuis une petite clinique de Zurich, le psychiatre de formation Gaustine, invente une certaine façon de déclencher la mémoire des malades Alzheimer , fuir de toute façon un présent , hélas qui leur échappe , et ne représente plus rien pour eux .

Comment ? Grâce au décor de leur chambre les patients ont la possibilité de replonger au coeur de leurs années sereines .

L'auteur explore à sa manière, très particulière la mémoire individuelle et surtout explore l'histoire européenne du XX ° siècle, surtout celle de son pays natal, la Bulgarie .

Il passe d'une temporalité à une autre , la narration n'a absolument rien de classique : réflexions intenses sur la nostalgie, le temps, la mémoire , ses fixations et ses pertes. Il en décrit toutes les manières .

L'analyse est très intéressante , gâchée par trop de références et de digressions .
C'est imaginatif, ambitieux , fascinant, très curieux , déstructuré .
Pour moi un roman extravagant qui interroge notre rapport individuel comme politique à la nostalgie .
Il nous invite à nous pencher sur le miroir des souvenirs .
Un vraie curiosité, cet ouvrage où règne un désordre organisé, une lecture un peu difficile .
Pas le moment propice !
Mais ce n'est que mon avis bien sûr ! .
D''autres lecteurs y trouveront très certainement leur compte .
Emprunté à la médiathèque.

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Le présent vous semble détestable ? L'avenir incertain ? Et si vous essayiez le passé ? Car au moins, lui, est connu. Donc rassurant, dès lors qu'on sait bien le choisir.

Dans le Pays du passé, Guéorgui Gospodinov – traduit par Marie Vrinat – livre à son tour sa version romancée du retour en arrière. Rien d'original me direz-vous. Sauf qu'ici, aucun artifice pour le justifier. Pas de choc émotionnel, pas de DeLorean, pas de super pouvoir, pas de coup de foudre ou d'alignement exceptionnel de je ne sais quels astres.

Chez Gospodinov, dans cette Europe contemporaine, le retour dans le passé est voulu, pensé, organisé, par les soins de Gaustine, visionnaire mystérieux dont le narrateur croise la route à intervalles irréguliers. Dans sa clinique spécialement créée pour l'occasion, il recrée pour chacun de ses patients l'environnement de sa période passée préférée, soignant les détails : meubles, journaux, musiques, informations…

« Alors peut démarrer la confusion des époques, le dédoublement du temps et le dédoublement des êtres. Alors la mémoire se trouble et s'étouffe peu à peu ». Dans ce retour en arrière recomposé, est-on plus heureux ? La question reste posée. Mais on y est au moins apaisé !

Devant le succès, la demande va croissante et les cliniques se multiplient, validant les bienfaits de la vision de Gaustine. Au point d'intéresser les États européens qui se mettent à imaginer replonger entièrement leur propre pays dans sa décennie passée la plus heureuse. Dans chaque pays, les référendums s'enchaînent. Mais comment faire désormais cohabiter des pays fédérés mais vivant dans des espaces de temps passés différents ?

Décrite comme cela, l'histoire semble attirante et linéaire. Attirante, elle l'est. Linéaire, beaucoup moins. Car du début à la fin, Gospodinov joue avec le lecteur, avec le style, avec ses personnages, avec la construction et avec les époques. Et c'est tout ce qui fait le charme de ce livre déstructuré, qui semble parfois partir dans tous les sens (générant quelques longueurs) mais retombe à chaque fois sur ses pieds (relançant l'intérêt).

Si le Pays du passé est assurément un roman, imaginatif et ambitieux, il aurait aussi pu être conçu comme un essai, tellement ses réflexions sur le temps, la mémoire, la nostalgie, l'être et son double sont omniprésentes et souvent fulgurantes, jaillissant au détour d'un paragraphe sans prévenir et sans toujours s'appuyer sur l'histoire romancée. Ou aussi un conte philosophique, comme le soufflent plusieurs de mes co-lectrices…

Il faut s'armer de patience lors de certains passages où Gospodinov laisse son esprit et sa plume filer (« J'ai encore fait une digression, qu'on me pardonne »), mais on lui pardonne sans souci car ses écarts sont souvent instructifs (eh oui, le premier animal dans l'espace ne fut pas une chienne, mais une mouche !) et il sait rapidement retrouver son rythme.

Enfin, le Pays du passé porte au passage un éclairage intéressant sur la Bulgarie natale de l'auteur, qui loin des Gaillards nationalistes et des Sotz socialistes s'affrontant par référendum, interroge son passé et son identité. « …il devenait de plus en plus évident, avec la fraicheur de l'air nocturne qui m'aidait à me ressaisir, qu'il y avait deux Bulgaries et qu'aucune des deux n'était la mienne ».

Une belle découverte et un très joli style, une fois de plus issue d'une rencontre Varions les Éditions en Live qu'on ne saurait que trop recommander !
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Guéorgui Gospodinov prévient d'emblée : "tous les personnages réels de ce roman sont fictifs. seuls les fictifs sont réels." Cet avertissement, avant le début de le pays du passé, est bien à l'image de son auteur, malicieux et déstabilisant. le personnage principal du livre, le dénommé Gaustine, est insaisissable, passant d'une temporalité à une autre, avec facilité, mais Gospodinov le souligne : c'est lui, le romancier qui l'a créé, à moins que ce ne soit le contraire. Autant s'y faire, le pays du passé n'a rien d'une narration classique, les digressions y sont nombreuses, les clins d'oeil au lecteur également et l'auteur égrène volontiers certains de ses souvenirs personnels avec volupté. D'imagination, Gospodinov n'en manque pas, nous entraînant tout d'abord dans des cliniques très particulières où des malades d'Alzheimer retrouvent leur époque favorite dans une chambre au décor ad hoc. Comme si cela ne suffisait pas, le romancier conçoit ensuite, dans une dystopie étourdissante, une Europe où tous les pays abandonnent leur présent pour l'époque du XXe siècle où leurs citoyens ont été les plus heureux. Impossible de détailler la manipulation mais elle conduit inévitablement au chaos, dès lors que la nostalgie est encore ce qu'elle était (ou pas). le livre est vraiment passionnant par endroits mais l'écrivain bulgare n'a manifestement aucun goût pour les intrigues linéaires et constelle son récit d'aphorismes, de citations et d'histoires parallèles. Un livre où règne le désordre, comme une mémoire où les souvenirs ne sont pas très bien rangés.


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À la toute fin de son roman, l'auteur « remercie tous ceux qui s'assiéront, un après-midi, dans l'abri-temps de ce livre. » C'est exactement ce que j'ai ressenti à la lecture, un véritable voyage dans le passé, du plus personnel au plus englobant, celui de la grande Histoire.
De l'épidémie des troubles liés à la maladie d'Alzheimer et aux démences dues à la vieillesse, Guéorgui Gospodinov en a tiré un roman fascinant et troublant.
Gaustine, un psychiatre gérontologue, ami du narrateur, a l'idée de créer des cliniques où faire revivre le passé pour des personnes atteintes du grand oubli lié à l'âge. Toutes les décennies du XXe siècle y seraient représentées selon les besoins. Rassurants et réconfortants, ces lieux, « abris antibombes du passé », obtiennent rapidement un succès tel, que même des États entiers souhaitent revenir en arrière dans une période plus propice afin de sécuriser du même coup une population entière.
Ici, point de machine à remonter le temps sophistiquée ni de stratagèmes alambiqués, l'être humain se suffit à lui-même.
Gospodinov se raconte aussi à travers ce récit hallucinant qui nous confronte à notre propre décrépitude et à celui, plus large, de la planète.
Et ne craignez pas que la lourdeur du thème pèsera sur votre lecture car l'humour y a aussi sa place.
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Une vraie curiosité que ce roman où l'on se réfugie dans le passé pour mieux fuir le présent. Pour ce faire le personnage principal, Gaustine, expert en Alzheimer pour le moins mystérieux, a inventé l'abritemps. Sa clinique connait un succès fou on vient de partout pour pouvoir revivre des sensations de son enfance. Jusqu'au jour où des nations entières décident de se réfugier dans le passé, chacun choisissant le sien sans se soucier de celui de ses voisins.
Vous m'avez comprise ?
Moi non.
Et c'est là peut-être le seul hic de ce roman fou et facétieux : on peu se perdre en route (surtout les références à la Bulgarie – l'auteur est bulgare). Une belle découverte néanmoins.
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Le narrateur rencontre l'évasif Guastine.
Ils vont ouvrir une clinique où, en tant que patient, on peut retrouver un passé révolu. Son passé.
Les premiers clients sont âgés, ils oublient leur présent et leur passé.
Ils peuvent en retrouver de brides sans angélisme.
Ils ne retrouvent pas seulement un passé heureux, idéalisé.

Un homme a oublié son passé, il dialogue avec celui qui devait le surveiller pour le régime bulgare.
Une femme se souvient de la vache morte quand elle fuyait la Bulgarie lors de la retraite allemande…

Petit à petit, le roman glisse. La clinique s'agrandit. On achète d'autres maisons, des villages qui passent hors du temps présent.
Et puis des pays entiers décident de quitter le présent pour choisir chacun une ancienne décennie.
Chaque État, organise un référendum pour en choisir une.
Alors entre amnésie collective, mise en scène un peu kitsch d'un passé embelli, chacun vote.
Nous sommes en Europe et chaque pays a bien des périodes « fastes » mais aussi des haines profondes, des conflits.
Un « No future » européen.

> Puisqu'une Europe de l'avenir est impossible, choisissons une Europe du passé. C'est simple, quand on n'a pas d'avenir, on vote pour le passé

Pertinent, n'est-ce pas ?

> le temps d'aimer était passé, le temps de haïr était venu. Si la haine était un produit intérieur brut, alors le niveau de prospérité, dans certains pays, aurait très vite atteint des sommets inégalés.

Attention le roman n'est pas un pamphlet politique sur les vendeurs (en chemise brune) de glorieux passé.
C'est d'avantage, une profonde réflexion à la fois personnelle et plus large sur l'oubli, la mémoire, les relations avec les proches.
Une déambulation temporelle.

Un conseil : Laissez-vous emporter par la narration.

> le temps ne se niche pas dans l'extraordinaire, il se cherche un endroit silencieux et tranquille. C'est dans un après-midi insignifiant que tu découvriras des traces d'un autre temps. Un après-midi durant lequel il ne s'est rien passé d'extraordinaire, rien sinon la vie même…

Bémol

Le bémol ne concerne pas le roman, mais moi !
Je ne connais pas assez l'histoire bulgare du XXᵉ siècle (hormis son appartenance au bloc de l'Est) pour profiter pleinement du roman.

Bonus

La Suisse y tient une place spéciale. La première clinique ouvre à Zurich.

> La vérité, c'est que la Suisse était le pays idéal, me dis-je, à cause du degré zéro de temps. Un pays sans temps peut être très facilement habité par toutes sortes de temps. La Suisse avait réussi à se faufiler, y compris dans le XXᵉ siècle, sans cicatrices particulières qui, sinon, vous maintiennent toujours dans des années définies.

Encore quelques citations

Je ne saurai approcher la délicatesse et la poésie de cet ouvrage.
Alors voici quelques citations :

> J'ai lu quelque part que la fleur de myosotis guérit de la mélancolie ou, pour le dire de manière plus officielle, a un effet antidépresseur. En outre, ses graines peuvent demeurer dans la terre pendant trente ans et germer lorsque les conditions seront favorables. Cette fleur se souvient d'elle-même durant trente ans.

> Cette force d'attraction du passé n'est-elle pas, en fin de compte, une tentative d'atteindre cet endroit stable, aussi loin qu'il soit en arrière, où les choses sont encore entières, où ça sent l'herbe, où l'on regarde de tout près la rose et son labyrinthe.

> Tant qu'on se souvient, on tient le passé à l'écart. C'est comme allumer un feu au milieu d'une forêt nocturne. Tout autour sont accroupis démons et loups, les monstres du passé raccourcissent le cercle mais n'osent pas encore entrer dedans. L'allégorie est simple. Tant que le feu de la mémoire brûle, on est le maître. Mais commence-t-il à s'éteindre, le hurlement va aller grandissant et les monstres viendront plus près. La meute du passé. Moins il y a de mémoire, plus il y a de passé.

L'ouvrage se termine par cette phrase de l'auteur

> Je remercie tous ceux qui s'assiéront, un après-midi, dans l'abritemps de ce livre.

Je ne saurais trouver une meilleure conclusion.
Lien : https://post-tenebras-lire.n..
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Nous voici quand le retour du passé devient "l'avenir sombre", telle une dystopie à l'envers devenant par la même une uchronie, un «non-temps», non parce qu'il n'existe pas mais parce qu'en fusionnant le passé, présent et futur, ce "tous les temps" devient paradoxalement une absence de temps.

Ce premier attrait rapidement perçu se double très vite d'une épaisseur supplémentaire quand on découvre dès les premières pages que se mêlent dans ce "tous les temps" aussi bien des personnages réels que des personnages fictifs créés par l'auteur lui-même, donnant alors la sensation au lecteur d'un palais des glaces vertigineux où aucune certitude n'est possible et où il est impossible de savoir ce qui est réel ou reflet.

Les temps disloqués et la fiction devenant réelle - la réalité devenant fiction - entraînent une réflexion foisonnante sur le temps, la définition du passé, la vieillesse (faite de "longues manoeuvre solitaires, attente" "entre l'horloge et le lit" comme le titre de cet autoportrait peint par Munch" p67), la perte de mémoire, la mort, L Histoire, savamment teintée d'une parfaite mélancolie nostalgique.

Entre Vienne et Zurich - "une ville aussi calme qu'un cimetière" où "y ont trouvé l'ennui Canetti, Joyce, Dürrenmatt, Frisch et même Thomas Mann"(p33) et où "deux découvertes du XXe siècle liées précisément au temps ont eu lieu ici, justement, en Suisse: la théorie de la relativité d'Einstein et La Montagne magique de Thomas Mann"(p35); entre le 1er septembre 1939 à Londres avec les carnets d'Auden "Uncertain and afraid" à l'invasion de la Pologne, quand le quotidien se transforme en Histoire, ou un autre 1er septembre à New York, on se retrouve auprès de notre narrateur romancier, ce "je" sans nom à rechercher dans les époques et les lieux son personnage Gaustine qu'il a lui-même imaginé - ce dernier se moquant ironiquement des difficultés à être retrouvé par celui qui l'inventa - et avec qui il se retrouve finalement à fonder "la première clinique à produire du passé"(p54).

On suit les reconstitutions par étage de décennies à destination des "patients à la mémoire en train de disparaître, Alzheimer, démences", "pour tous ceux qui vivent uniquement dans le présent de leur passé" (p51) ainsi que les questionnements divers sur l'existence de date de péremption pour le passé (p48) ou de savoir si "le passé n'est pas seulement ce qui nous est arrivé. Parfois, c'est ce qu'on n'a fait qu'inventer" (p55) - la Suisse par exemple étant "le village bulgare idéal" de l'enfance du narrateur "tel qu'il n'avait jamais existé" (p154).

Au-delà de considérations très pragmatiques pour un collectionneur de passé comme le fait "qu'il n'y ait pas de machine à mémoriser les odeurs" (p59), des récits et des réflexions s'enchaînent: sur ceux qui n'ont pas "d'affinités avec l'avenir", l'avenir radieux résonnant "de manière si lointaine et vide" (p71), sur des réclames dans les journaux jaunis qui sont comme une porte d'entrée dans le passé ou encore sur la force d'attraction du passé s'appuyant sur l'Odyssée, jugeant que "la nostalgie est le vent qui gonfle les voiles d'Ulysse", rentré pour le souvenir de la fumée qui s'élève de la cheminée et dont on pourrait imaginer une fin tragique d'être auprès de Pénélope sans plus se souvenir de son nom (p128), témoignant de la vie "pire que les voleurs de grands chemins" qui nous vole peu à peu notre mémoire (p131); ou enfin, sur le fait que les hommes sont "des fabriques de passé", "des machines vivantes de passé" (p132), sur le fait que le passé n'existe qu'au singulier (p146) ou encore sur les questions de savoir si le passé meurt, s'il peut être volé, recyclé…

Après Zurich, d'autres établissements prennent vie ailleurs, en Bulgarie ou dans différents pays, les étages se multiplient, années 1960, années 1940 et 1950…et même années 1970, les pertes de mémoire affectant des personnes de plus en plus jeunes. Vient ensuite l'évocation de la construction d'une "ville entière dans le temps" (p98) afin d'éviter la brutalité douloureuse de n'entrer que temporairement en régime de réminiscence, éviter les ruptures jusqu'à l'échappée d'un homme qui pense que le monde réel est une sorte d'expérimentation du futur, le passé étant devenu son réel. Les cliniques commencent à s'ouvrir aux proches des patients, puis la possibilité d'y rester est proposée afin d'"ouvrir du temps pour tous", comme "ouvrir une fenêtre dans le temps pour que les malades y vivent" (p115). Puis, ils envisagent même leur établissement pouvant aller jusqu'à un Etat entier, à des fins thérapeutiques en créant pour leur patients "un espace synchronisé avec leur temporalité intérieure", un "abritemps" (p51), un droit "au souvenir du bonheur" (p52).

Peu à peu, le passé se transforme "en baleine blanche" que l'on poursuit "avec la passion aveuglante d'Achab" (p134) et "c'est alors que le passé partit à la conquête du monde" (p139), se transmettant "d'homme à homme comme une épidémie", et "insensiblement, les gens en habits traditionnels commencèrent à conquérir les villes" (p140) et un "référendum pour le passé" se met en place en Europe (du verbe re-fero en latin, "qui veut dire "faire revenir en arrière" -"le retour en arrière était engagé par le mot même" p149). Des laitiers reviennent avec leurs bouteilles sur le perron, des meetings s'affrontent une semaine avant le vote, et la Bulgarie se ferme comme un piège qui claque (p247), frontières fermées, perquisitions inattendues, un abonnement à l'Oeuvre ouvrière (p247) et la population "commence à s'adapter incroyablement vite" tandis que " les citoyens incrédules qui vivent encore en suivant une inertie démocratique …remplissent peu à peu les maisons d'arrêts" (p249).

"Les Etats heureux se ressemblent tous, les Etats malheureux le sont chacun à sa façon, comme il est écrit" (p254) et effectivement, "aucune nation" ne veut "renoncer à son malheur", "le pétrole de la mélancolie est leur unique ressource inépuisable". "Le bonheur n'entre pas dans les manuels d'Histoire", "le bonheur n'est que pour les abécédaires et manuels de conservation en langue étrangère, et encore, pour débutants", "avec le bonheur, on ne forge pas d'épées, c'est un matériau fragile, cassant" (p255), "on ne peut mobiliser une armée sous les bannières du bonheur"…et voilà que pour la première fois, "le moment était venu de choisir un bonheur". (p256).

Et notre narrateur nous fait alors le compte-rendu et nous explique les résultats des choix des décennies à travers l'Europe, de 1980 pour la France aux années 1970 pour les pays scandinaves, dessinant la nouvelle carte du temps, avant de terminer par une dernière partie s'ouvrant sur "la boîte était ouverte…" (p293) où tel un final de feux d'artifice, le roman enchevêtre réel et fictif, mise en scène et fait historique, boucles de temps et bribes de souvenirs pour s'achever à la dernière page sur l'inéluctable, qui laisse un lecteur comme échoué après un long voyage sur mille plages à mille époques…

En somme, un brillant moment de lecture, au léger parfum délicieux de soufre d'un "Maître et Marguerite" ou d'un livre qu'on ne se souvient pas d'avoir lu mais qu'on avait adoré…
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Le passé est-il définitivement derrière nous ? 

Ne serait-il pas possible de le faire revenir ? Juste pour un temps. Pour ramener le souvenirs des jours anciens à ceux qui oublient. Pour contrer la vieillesse et Alzheimer. 

C'est l'idée du fameux Gaustine que rencontre le narrateur : recréer des appartements tout droits sortis des années 60 ou 70. Les années de l'enfance, réminiscences fugaces dans des cerveaux qui ne souviennent plus. 

Mais tout se complique quand cette idée se développe à l'échelle des villes puis des États. 

Surtout quand le narrateur ne sait plus vraiment si Gaustine existe vraiment ou s'il l'a inventé…

Énorme coup de coeur pour ce roman. L'auteur réussit un tour de force incroyable.

Il offre, tout d'abord, une réflexion passionnante sur la notion de passé et de mémoire. Que devient-on lorsque les seules années dont on se souvient sont celles de notre jeunesse ? Que perd-on lorsque l'on vit en regardant en arrière ?

Pourquoi les gens finissent-ils par regretter les années de leur enfance ? Comment faire lorsque la personne qui se souvient le mieux de votre vie est votre ancien bourreau ? 

Autant de thématiques sérieuses et pourtant, ce roman n'est pas sinistre. L'humour et l'ironie sont présentes dans des passages, absolument excellents, notamment celui durant lequel les Etats décident dans quels périodes du passé, ils souhaitent évoluer.

Les pages défilent entre réflexions philosophiques et références culturelles. Les pièces du puzzle s'emboîtent avant de se mélanger à nouveau. 

Pas de facilités, l'auteur semble prendre plaisir à changer les tons du récit pour aller jusqu'à tutoyer la dystopie. le lecteur peut se perdre parfois à l'image des personnages mais jamais, il ne viendrait à l'idée de poser ce roman magistral. 

Tout est foisonnant, intelligent et divertissant. 

Si vous ne l'aviez pas encore compris, j'ai adoré ce roman et vous n'avez plus qu'une chose à faire : lisez-le !
Lien : https://allylit.wordpress.co..
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Quand Alzheimer frappe à la porte des mémoires, le présent s'efface et ne reste que le passé, de plus en plus lointain. Avec mes résidents, je m'adapte. Leur réalité devient la mienne, le temps que la mémoire leur joue à nouveau des tours.

Le mystérieux Gaustine, lui, psychiatre de formation, décide d'aller plus loin et ouvre une clinique d'un genre nouveau : un abritemps. Une pièce à l'intérieur de laquelle la personne malade peut évoluer dans une année heureuse de leur existence. Celle dont ils se souviennent. Ainsi, nul besoin de les confronter à une réalité angoissante qu'ils ne reconnaissent plus. Alors que ces abritemps sont de plus en plus demandés, Gaustine voit son idée prendre une toute autre tournure lorsque les pays d'Europe - et bientôt du monde - décident d'étendre le concept, non pas à l'échelle d'une chambre, mais d'un pays tout entier.

Mais comment cohabiter et avancer ensemble vers un futur commun, lorsque chacun évolue dans son propre espace temps ? Comment penser à l'avenir lorsque chaque pays a décidé de se retrancher dans la décennie la plus glorieuse de son histoire personnelle ?

Gospodinov signe ici un roman aussi ambitieux qu'inventif qui interroge sur la capacité de chaque état - et de chaque individu - à faire certaines concessions dans l'espoir d'avancer vers un but commun et bénéfique pour tous.

Une belle - et terrible - allégorie de l'Europe d'aujourd'hui, enlisée et étouffée, à défaut d'être engagée et solidaire.

Traduction de Marie Vrinat
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