Chapitre premier
Je me présente : Kinsey Millhone, trente-deux ans, détective privé immatriculé dans l'Etat de Californie, deux fois divorcée, sans enfant. Avant-hier, j'ai tué quelqu'un et depuis je ne pense plus qu'à ça, ça m'obsède parce que je suis plutôt une personne respectable. Tous mes amis vous le diront. J'ai longtemps vécu en caravane ; aujourd'hui, je loue un petit studio, vraiment petit, mais j'aime me sentir à l'étroit. Je n'ai ni homme, ni animaux, ni plantes, et avec la vie que je mène, ça vaut mieux. On ne peut pas être toujours sur les routes et s'imposer ces contraintes-là. Exception faite pour les risques qui tiennent à mon métier, je mène une vie normale et plutôt agréable. Bref, je suis une jeune femme sans histoires. Tuer les gens n'a jamais fait partie de mes habitudes, et je ne suis pas encore parvenue à faire toute la lumière sur cette sale affaire.
La secrétaire affiche bien soixante-dix ans et, pendant une seconde, je me demande s'ils ne l'ont pas enlevée à une association de gérontologie.
Avant-hier, j'ai tué quelqu'un et depuis je ne pense plus qu'à ça, ça m'obsède parce que je suis plutôt une personne respectable.
Je suis en nage quand j'atteins ma Volkswagen et j'ai juste le temps de retirer mes gants en caoutchouc avant que la voiture de patrouille n'arrive. Une violente migraine me martèle le crane, et une nausée me soulève le coeur. J'ai l'impression que je ne vais pas pouvoir résister à l'envie de vomir. Je me force à avaler ma salive. Mes mains tremblent tellement que je ne suis pas sûre d'arriver à faire partir le moteur.
J'approche, de plus en plus gênée, en évitant instinctivement de faire du bruit. C'est alors qu'un sifflement déchire le silence. Je bondis de frayeur en me détendant comme un ressort. Je tourne la tête en direction du bruit. Deux oies me foncent dessus en se dandinant, cou tendu en avant, bec ouvert laissant apparaître une vilaine petite langue. Je ne peux m'empêcher de crier et je bats en retaite vers ma voiture en marchant à reculons pour ne pas les quitter un instant des yeux. Mas les bestioles couvrent le terrain qui nous sépare en un temps record, me forçant à prendre mes jambes à mon cou.
C'est à ce moment-là que je me rends compte du désir qu'il m'inspire. Un désir d'une violence inouïe. Je laisse échapper un son guttural. La réaction de Charlie est tout aussi primitive, et instantanée.
Journée pas très satisfaisante. Mais tel est mon lot quasi-quotidien : recherches, vérifications, recoupements, remplissage des parties laissées en pointillé. Les qualités de base d'un bon enquêteur sont la patience et l'esprit de continuité. Il se trouve qu'incidemment la société a, pendant des siècles et des siècles, éduqué les femmes à ces deux vertus.