Citations sur D'une Allemagne à l'autre : Journal de l'année 1990 (11)
Un nombre inquiétant de mes confrères écrivains, naguère capables de réciter le discours antifasciste rattrapé en cours du soir (ou vraiment à eux) se retrouvent en ce moment d'une humeur "nationale" qui frise l'abrutissement.
Hier dans le public, plus de femmes que d'hommes. Il est vraisemblable que, sans lectrices, il n'y aurait plus de littérature.
Mais cela ne fait que souligner, parce que rien n'est là pour enjoliver, à quel point est détruite la région côtière de Faro à Lagos. Non seulement le secteur est gâché par les constructions, mais déjà la décrépitude commence : ordures et ferrailles bordent la grand-route.
On commence à déclarer coupable la population de la RDA. La façon dont des Allemands traitent des Allemands. Cette brutalité mercantile trahit dès aujourd'hui le nouveau ton dominateur employé envers les Polonais et les Russes du fait que perdure leur faiblesse économique.
Les journées débordent l'une dans l'autre ; seule la récolte des mûres sur les haies de ronciers demande un déroulement chronologique. Quand avons-nous vu, là où la lande touche au Sund, dans le secteur de la fortification datant du blocus continental et envahie de végétation, ces sept ramoneurs - apprentis adolescents et compagnons - fêtant à la bière leur excursion d'entreprise ?
Je dessine dans une sorte d'ivresse. Hier cinq, aujourd'hui quatre feuilles. Après le fusain règne à présent le crayon.
La sensation croissante de resserrement. C’est un comme sous contrainte que l’unité allemande est invoquée à grands cris, il ne manque plus que de passer brusquement à l’acte. Il devient peu à peu dangereux d’élever la voix contre cette folie d’un nouveau genre. Si je persiste néanmoins à dire non, ce n’est pas par défi, c’est plutôt – outre tous les arguments et avec eux – par un pressentiment de plus en plus fort d’un échec. (…) En dépit de conditions apparemment favorables, l’espoir initial mis dans le miraculeux deutschemark risque, au sein de la population de RDA, de tourner à la déception. Les chiffres du chômage augmentant par bonds, l’arrogance prétentieuse de ces messieurs de l’Ouest avec leur ton de commandement, la perspective probable d’être à nouveau les couillonnés, les éternels perdants, voire de surcroît les incapables, pourraient faire germer de la haine, une haine mêlée de haine de soi-même. Après l’effondrement de la dictature communiste et de son économie de pénurie, ce sont à présent le système capitaliste et son idéologie, la stricte économie de marché et le pouvoir des banques, qui vont faire leurs preuves.
Aujourd'hui, dans la vieille maison, attrapé une grande sauterelle, mise à conserver dans le schnaps. Une fois que l'alcool sera évaporé et qu'elle sera sèche, je vais la dessiner à la mine de plomb.
Je mange au «Terrier de Renard», presque en face. Avec la serveuse affable est arrivée la bière de l'Ouest Hacker-Pschorr, de Bavière. Ils n'ont plus le droit de servir de la bière de RDA. Il n'y a plus que le potage soljanka et, comme plat principal, ma «viande bulgare au risotto» qui soient restés du temps du bloc de l'Est. Le patron se montre optimiste : «Vous savez, les gens ici boivent beaucoup. Les affaires marcheront, même après le 1er.
Si je voulais me servir de ce journal comme base d'un livre à publier, il faudrait que, dans la période allant de novembre 1989 (dimanche des morts), donc avant l'ouverture du Mur, jusqu'aux élections dans toute l'Allemagne, je développe le projet de "L'appel du crapaud" par paquets, petits éclats, réflexions ; pourraient y trouver place aussi les textes écrits pendant cette période, depuis le discours au congrès du SPD en passant par "Bref discours d'un individu sans patrie" et "Quelques perspectives depuis la place des Couillonnés", jusqu'à un discours qui reste encore à écrire.