Citations sur Les furies (78)
… les enfants qu’on envoie dans ce type d’école sont des requins, mon jeune ami. Des bébés requins issus d’une longue lignée de requins, tous autant qu’ils sont. Et les requins sentent l’odeur du sang à des kilomètres à la ronde, et quel est le sang qui les attire ici ? La peur. S’ils la reniflent dans l’eau, ils pourchassent celui qui saigne. Ce n’est pas de leur faute. Ils ne peuvent pas s’en empêcher.
(Édition de l’Olivier, p.201)
Ils s’appelaient Lotto et Mathilde. L’espace d’une minute, ils contemplèrent une mare remplie de créatures pleines d’épines qui, en se cachant, soulevaient des tourbillons de sable. Il prit son visage entre ses mains et embrassa ses lèvres pâles. Il aurait pu mourir de bonheur en cet instant. Il eut une vision, il vit la mer enfler pour les ravir, emporter leur chair et rouler leurs os sur ses molaires de corail dans les profondeurs. Si elle était à ses côtés, pensa-t-il, il flotterait en chantant. Certes, il était jeune, vingt-deux ans, et ils s’étaient mariés le matin même en secret. En ces circonstances, toute extravagance peut être pardonnée.
« Elle se surprit à penser que la vie avait une forme conique, le passé s’évasait à mesure qu’il s’éloignait du moment présent, à la pointe du cône. Plus on vivait, plus la base s’élargissait, de sorte que des blessures et des trahisons, quasi imperceptibles au moment où elle s’était produites, s’étiraient comme des points minuscules sur un ballon de baudruche qu’on gonfle peu à peu. Une petite tache sur l’enfant frêle se transformait en une difformité énorme sur l’adulte, impossible à franchir et aux bords frangés. »
J’ai un million d’idées. Elles bouillonnent en moi. J’ai dû faire un tour pour leur échapper, mais le problème avec les idées, c’est que plus on marche, plus il y en a. Elles se multiplient dans le chaudron de l’esprit.
(Édition de l’Olivier, p.148)
Il souffre de la maladie du "Grand Artiste américain". Toujours plus grand. Toujours plus bruyant. Se battant pour avoir la place la plus en vue dans une lutte hégémonique. Vous ne croyez pas qu'une sorte de mal s'abat sur les hommes de ce pays quand ils s'essaient à l'art ?
Au pied de l'escalier, Lancelot souriait à son propre visage buriné dans le miroir tout en nouant sa cravate. A le voir ainsi, on ne pouvait deviner combine son corps avait été meurtri cette année-là. Il avait souffert, mais en était ressorti plus fort. Et peut-être même plus séduisant. Les hommes en sont capable, ils gagnent en charme avec l'âge. Les femmes se contentent de vieillir. Pauvre Mathilde avec son front pareil à de la tôle ondulée. Dans vingt ans, elle aurait les cheveux gris, le visage plein de rides. Mais elle serait toujours belle, songea-t-il avec une impeccable loyauté.
À un moment, malgré son intelligence et son art d'administrer les choses, elle était devenue une épouse, et les épouses, nous le savons tous, sont invisibles. Les elfes de minuit du mariage.
« Entre leurs deux peaux, le plus fin des espaces, à peine assez pour l’air, pour ce voile de sueur qui à présent refroidissait. Et pourtant, un troisième personnage, leur couple, s’y était glissé. »
La beauté donne à la douleur une grâce qui va droit au cœur.
" Chéri, avant, on baisait le jour des poubelles, et aussi le jour des courses.
- Qu'est-ce qui a changé ?
-On a vieilli. On fait ça plus souvent que la plupart de nos amis qui sont en couple. Deux fois par semaine, c'est pas mal.
-C'est pas assez, murmura-t-il.
-J'ai entendu. Comme si je me refusais à toi." (p.98)