Et précisément, tandis qu'il écoutait, la maison remua. Car les vieilles maisons bougent dans leur sommeil, semblables aux membres rêveurs, pleins de souvenirs, des très vieilles gens. Les armoires chuchotent, les marches pleurent doucement au souvenir murmuré des bruits de pas qui depuis longtemps ont quitté la terre. Les cheminées peinent doucement dans les ténèbres sous le poids de vieux bas de Noël fantomatiques. Les solives et les traverses et les chevrons s'arc-boutent légèrement comme les côtes fragiles des vieilles femmes dans leur sommeil, comme le ferait le bruit des chaussons usés dans les couloirs.
Écoute Ben ! Tu vois cette main que je lève ? Tu vois les lettres qui y sont tatouées ? Amour, Ben, Amour ! C'est ce qu'elles disent ! Cette main - la droite, là -, cette main, c'est l'Amour. Mais attends, Ben ! Regarde ! Y a assez de lumières venant de la lune par la fenêtre pour que tu voies. Regarde, mon gars ! Cette main gauche ! Haine, Ben, Haine ! Maintenant v'là la morale de l'histoire, mon gars. Ces deux mains, c'est l'âme de l'homme mortel ! Amour et Haine, Ben - combattant l'un contre l'autre du berceau à la tombe.
Son nom est Harry Powell. Mais le nom de ses doigts est R et U et O et M et A et E et N et I et A et H et cette histoire qu'il raconte comme quoi l'une de ses mains est HAINE et l'autre AMOUR c'est un mensonge; car toutes les deux sont la HAINE et les voir bouger me terrorise pire que les ombres, pire que le vent...
Il leur parlait à tous et il les adsorbait comme un chaton absorbe de la crème et John sentit que son cœur allait s'arrêter de battre complètement car l'étranger avait en ce moment la vieille poupée de Pearl entre les mains et il la faisait rebondir en l'air sur les genoux de la petite fille comme si ce n'était rien que la plus simple, la plus ordinaire des poupées du monde.
Quel genre d'homme voudrait avoir ces doigts tatoués de cette façon ? pense-t-il. Chacune des phalanges de la main droite porte une lettre bleue sous la peau grise, sinistre - A.M.O.U.R. - Et les doigts de la main gauche marqués de la même façon, seulement là on déchiffre les lettre H.A.I.N.E.
Un petit monde terrible comme une île sur le rivage hanté de laquelle ill errait seul désormais comme un Robinson Crusoë solitaire et affligé, alors que partout autour de lui ses yeux découvraient l'empreinte des pas du pendu.
Il plongea sa main dans sa veste d’alpaga et en sortit le couteau qu’il fit rebondir deux fois dans ses paumes : la lame encore cachée dans le manche en corne attendait le contact précis sur le bouton.
- Tu vois ça ? Tu sais ce que c’est ?
- Oui. Je sais.
- Regarde là ! Qu’est-ce que tu vois maintenant ? Qu’est-ce que c’est, Pearl ?
- Je ne sais...
- Bon, alors, ne dis pas : « Je sais », si tu ne sais pas. C’est un mensonge. Voici un couteau ! Tu veux voir quelque chose d’épatant ? Regarde maintenant ! Il saisit le manche de corne dans sa paume, et, le serrant, toucha légèrement le bouton du doigt appelé H et alors la lame d’argent de six pouces, affilée comme un papier à cigarette, sortit avec un bruit sec telle l’aile brillante et habile d’un oiseau mécanique. Pearl sourit.
- Bon et maintenant ? s’écria-t-il, fier comme un enfant ; mais alors son visage se ferma soudain, prit l’aspect d’un cuir blanchi et ses lèvres s’ourlèrent de colère. C’est ça, dit Prêcheur, dont je me sers envers les méchants, mon agneau ! Tu saisis ? Envers les méchants !
N'aviez-vous pas peur, mes agneaux ? dit-il doucement, là en bas, dans tout ce noir ?
Ben Harper tremble d'agonie sous l'effort du pauvre rêve que les doigts bleusde la nuit lui tendent.
Prêcheur se dressait maintenant, les cuisses figées dans les hauts-fonds sous les saules à quelques mètres en amont de la rangée de péniches, et la bouche ouverte il se mit à proférer un cri régulier, rythmé, animal, cri de colère et de défaite.