Ouvrir «
La Soledad », c'est partir pour un voyage étrange et poétique, de l'Argentine à Paris, de Venise au Moyen-orient en passant par le lac Léman et Saint-Pétersbourg. Il faut être soi-même un grand voyageur pour écrire l'histoire d'un aventurier crapuleux mais poète amoureux, collectionneur de légendes et d'histoires rares comme un ethnologue, amateur de rencontres extraordinaires comme un journaliste. C'est le cas de
Natalio Grueso, chargé de mission dans un grand nombre de pays et, comme son personnage Bruno Labastide, grand solitaire qui ne saurait se passer du commerce avec les hommes.
Ce livre nous entraîne sur les traces de Bruno Labastide, escroc, gigolo-voleur, contrebandier de faux caviar, chasseur d'histoires étranges. Il raconte ses incroyables rencontres avec cynisme (« Personne n'est responsable des passions qu'il éveille chez les autres »), drôlerie, acuité, réflexion (de fines analyses géopolitiques sur l'URSS, la Syrie ou l'Irak, quand un dictateur est attaqué au nom de la morale par les bombes d'une communauté internationale qui tue des enfants et des civils).
Ses rencontres nous sont racontées dans de courts récits imbriqués dans le roman, chaque récit étant une sorte de nouvelle s'intégrant à un véritable kaléidoscope, aux couleurs et aux saveurs riches et changeantes. On se souviendra de Keiko, la sublime Japonaise qui offre une nuit, mais une seule, à qui lui envoie de beaux vers ou une belle histoire ; de Ricardo, le commentateur sportif argentin qui ruine sa carrière pour ne pas décevoir son grand-père ; des deux vieilles Américaines qui se laissent séduire - et plumer ! - par le joli jeune homme à fossettes ; d'Horacio, le « prescripteur de livres », qui, en fonction de l'humeur de ses clients leur conseille telle ou telle lecture sans jamais se tromper ; de Markus, le pianiste qui pour la première fois joue faux, si grande est sa stupeur de voir Bruno réussir là où tous ont échoué ; de Pinkerton, l'homme d'affaires qui a acheté les droits sur toutes les langues du monde, faisant ainsi payer l'impôt sur les mots !
Les scènes se succèdent avec raffinement dans le luxe des grands hôtels, avec violence sous les bombes de l'ONU, dans la chaleur des villages guatémaltèques, la douceur mélancolique et résignée de la Sérénissime...
Chaque histoire propose de petits tableaux au décor et aux personnages soignés, qui s'animent et vivent une histoire que le narrateur raconte et commente , mêlant drôlerie, observation fine de notre monde et réflexion sur ce qui en fait et le caractère précieux et la vanité.
Merci infiniment aux éditions «
Les Presses de la Cité » qui, via Babelio et « Masse critique », m'ont offert en avant-première, ce très bon premier roman qui donne envie de guetter le prochain écrit de cet auteur.