Citations sur La Soif (26)
Tu sais, j’ai grandi dans un endroit où il n’y avait pas d’eau du tout. Ni rivière ni étang. Je ne me souviens pas de la moindre flaque d’eau. Et il n’y avait pratiquement jamais de pluie. C’est pour ça que, jusqu’à présent, j’ai soif. J’ai toujours une sensation de sécheresse.
Je regardais tout ça, et il me venait à l’esprit de drôles de pensées. Plus exactement, une drôle de pensée. Et même, une seule question.
Pourquoi ?
Je pensais en le regardant : pourquoi ça se passe comme ça ? Pourquoi il y en a qui brûlent, et d’autres qui sont sauvés ? Pourquoi le père que j’avais est-il devenu le père d’autres enfants ? Pourquoi l’homme que je voulais avoir comme père m’a-t-il abandonné pour partir quelque part sur la mer Noire ? Pourquoi ce con qui aujourd’hui se dit mon père m’emmerde tellement que ça fait plus d’un an et demi que je n’ai pas la force d’aller voir ma mère ?
Trop de choses, certainement, autour de ce « pourquoi », et il était clair que je n’allais pas m’en tirer uniquement avec un point d’interrogation.
Il avait une excellente vodka. Dans une jolie bouteille, avec des étiquettes d'importation. Mais c'était beaucoup trop peu. Il n'y en avait que pour un quart d'heure.
Je n'avais pas réussi à caser toute la vodka dans le frigo. J'avais d'abord essayé de poser les bouteilles debout, puis je les avais couchées les unes sur les autres. Elles ressemblaient comme ça à des poissons transparents. Tapis et silencieux. Mais je n'avais plus de place pour les dix dernières.
(incipit)
Quand j'étais petit maman disait : " Il a disparu corps et âme. " Lorsqu'elle attendait le soir le retour de mon père. L’œil rivé à la fenêtre. C'était avant qu'il nous quitte complètement. Et moi je disais : " Corps et larmes ", et elle riait. Puis se remettait à regarder par la fenêtre.
Je me souvenais comment nous allions l'été au soleil, papa, elle et moi ; il avait toujours des shorts blancs qui faisaient ressortir son beau bronzage-il bronzait facilement, uniformément. Il portait une casquette très chic et des lunettes à reflets changeants. Il n'était jamais avec nous sur la couverture. Il allait et venait, restait debout un peu plus loin, jouait au volley. Riait avec des filles bronzées. Tandis que, maman et moi, nous nous tenions à l'abri du soleil sous un parasol.
Elle me disait :"Kostia, tu as la même peau que moi. Avec une peau pareille, on ne peut pas bronzer. On n'a que des taches de rousseur. viens que je te mette de la crème. Sinon tu vas prendre un coup de soleil sur le visage."
« – On approche des ruines ! cria-t-il dans l’émetteur. Vous m’entendez ? Putain, vous roupillez là-bas, ou quoi ? On approche. Couvrez-nous s’il y a un problème. Il reste deux cents mètres… Cent cinquante… Cent… Tout a l’air normal.. Il semble qu’il n’y ait personne ici… Il reste cinquante mètres… On est presque passés… Tout est calme… Quoi ? Non, tout est normal, je vous dis… Tout baigne…
[…]
La déflagration fut telle qu’elle me souleva et que je me retrouvai debout sur mes pieds avant de retomber immédiatement. Le choc fit résonner ma tête comme l’intérieur d’une cloche. Devant mes yeux il y avait une bouteille vide. Et une autre encore à côté. Je les touchai de la main et elles s’entrechoquèrent. C’était agréable d’être couché par terre. Le sol était frais. J’appuyai ma joue sur le lino et fermai les yeux. Surtout ne pas bouger… »
Ce qui me plaisait chez lui, c'est qu'il ne buvait pas sa vodka comme les autres. Mon père restait toujours un long moment debout, son verre de vodka dans une main, un verre d'eau dans l'autre. Il se préparait, se mettait en condition. Puis il avançait ses lèvres en cul-de-poule, fermait les yeux à demi, et ingurgitait lentement.
Les parents ont été autorisés à venir s’installer à la périphérie de Moscou. En échange d’un petit emploi à l’usine d’automobiles Lénine, ou dans un petit atelier de réparation de postes de radio. Il y a de ça vingt ans. Dans les lettres aux parents, on a écrit qu’on est maintenant moscovites ! On s’est fait plaisir rien que de l’écrire. C’est d’ailleurs par ça qu’on a commencé la lettre. Mais pas question de les inviter à venir voir le fiston. Parce qu’on vit dans un foyer d’ouvriers.
-Alors, écoute. Attendre – ça veut dire éprouver de la reconnaissance. Simplement être heureux d'avoir quelque chose à attendre. Tu regardes par la fenêtre et tu te dis : « Merci, mon Dieu. Et à tous les autres, merci. Merci au pigeon d'avoir volé. Au chien, d'avoir couru. » Tu as compris ?
-Non.
-Imbécile ! Si tu as de la chance, tu comprendras un jour. Mais, derrière la reconnaissance que tu éprouveras, tu ne te rendras même pas compte qu'il a fallu attendre.
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