Au début, je n'étais pas très convaincue, j'ai cru que je ne pourrais pas m'attacher à ce gamin, que je n'allais pas accrocher à cet univers rude d'où toute trace de tendresse semblait bannie, pas retrouver ce qui m'avait tant plu dans
La Soif.
Je me trompais.
Guelassimov nous offre un drôle de mélange doux-amer, finalement bien savoureux, de dureté du monde qu'il décrit, d'humour, d'humanité souvent assez étonnante, parfois cruelle, parfois tendre et poétique. On part du très sombre et puis on se dit comme Petka qu'on a cinq doigts à chaque main, cinq à droite pour compter les bonnes choses, cinq à gauche pour les injustices, «Si à une main il en avait eu huit par exemple et à l'autre trois, on aurait encore pu discuter», mais là, c'est clair, ça s'équilibre.
Et je l'ai beaucoup aimé ce môme, batard, va-nu-pieds, rêvant d'avoir pour père le camarade Staline, rêvant sa vie héroïque, gravant sans cesse avec son clou des gros mots sur Hitler et découvrant le coeur battant qu'à chaque mot gravé par lui les troupes russes prenaient des grandes villes.
«Enfin, bien sûr, les nôtres s'étaient battus avec acharnement et d'ailleurs, ils étaient les meilleurs soldats du monde, mais Petka, à sa façon, n'y était pas pour rien.»
Et puis j'ai été complètement sous le charme d'Hirataro, un personnage que j'ai trouvé extraordinaire. le prisonnier japonais a avec le monde, la vie et ses injustices une relation très particulière. Il est très décalé, avec une belle dimension étrange et poétique, du fait d'abord qu'il s'est considéré pendant longtemps comme mort. Il s'était mis à rédiger son journal pour envoyer depuis le royaume des morts un message aux vivants. Mais l'écriture a sur lui un effet secondaire non négligeable puisqu'elle réveille son intérêt pour la vie et le pousse à prêter une attention nouvelle à ce qui l'entoure.
Bref, j'ai adoré la façon dont
Guelassimov nous embarque en compagnie de ces deux-là dans ce lieu bien étrange pour nous, Razgouliaevka, un trou paumé dans les steppes de Transbaïkalie, tout près de la Chine. Un roman étonnant, qui nous rend si proches des personnages si différents et qui transfigure avec tant de générosité et d'originalité un univers âpre et déprimant au départ que j'en ressors émerveillée.