Nous somme dans un village de Sibérie, en 1945. le personnage principal du récit est un petit garçon, Petka. Ostracisé par les autres garçons de son âge, sauf par son seul ami, Valerka,il s'invente un univers, imagine un possible héroïque de combattant, dans ce moment de la guerre finissante,où les soldats sont présents. Déjà pour garder, et faire travailler dans les mines proches, les prisonniers de guerre de différentes nations, et surtout, les plus anciens en date, les Japonais. Parmi ces derniers, Mityanaga Hirotaro, un médecin, qui soigne comme il peut ses compatriotes, mais aussi parfois les Russes, et qui pour s'accrocher à la vie, écrit dans un cahier, ce qu'il souhaiterait transmettre à ses enfants, et tout particulièrement l'histoire de sa famille. La fin de la guerre précipite les événements, avec les retours et départs, noue les destinées.
C'est vraiment un très joli livre, le personnage de Petka et des autres enfants d'ailleurs, merveilleusement dessiné, à partir du quotidien, des petits faits, des relations avec sa famille, des histoires qu'il se raconte. L'auteur se met vraiment à sa hauteur, aurais-je envie de dire. Il ne juge à aucun moment, ne regarde avec condescendance, mais se coule dans la mentalité et les perception de l'enfant. Ce qui n'empêche que nous ne puissions, en tant que lecteurs, prendre un certain recul, et être choqué ou ému par ce que Petka considère comme allant de soi (par exemple ce qui concerne sa mère). Cela permet de donner une forme de légèreté, de grâce, à un récit qui aurait pu sombrer dans le pathos ou dans la noirceur. Car la vie de Petka, et d'ailleurs des villageois dans leur ensemble, n'est pas très joyeuse, entre la guerre et les morts qu'elle entraîne, et le régime, ses atrocités et absurdités. Mais vues par les yeux d'enfants, la perspective change. La voix de Hirotaro change aussi un peu l'angle de vision, permet mieux d'appréhender certaines choses. Les deux se rejoignent, l'un par les histoires et les jeux qu'il invente, l'autre par les pages qu'il noircit, dans un besoin d'inventer, de transformer en mythe, en épopée, pour conjurer et rendre supportable, voire enviable le vécu. le point culminant en est, la conjuration chamanique, magique, que Petka exige de Hirotaro pour soigner son ami Valerka, les soins ne pouvant être efficaces qu'à condition d'être accompagnés de rites. Et Hirotaro, scientifique qui ne croit ni à la magie ni aux divinités, pour pouvoir répondre à la demande de ses patients, s'appuie sur ses souvenirs du théâtre Nô. Comme si les rituels, les religions et l'art avaient le même objet, celui de réconcilier avec l'insupportable, la maladie, la souffrance, la mort.
Andreï Guelassimov a un grand talent de conteur, et dessine dans ce roman un tableau sensible, et sans mièvrerie, d'un jeune garçon, et au-delà d'une génération « sacrifiée » pourrait-on dire, si le terme n'était si galvaudé. Et pose au passage des questions éternelles, du rapport à la violence, à la destruction, comment un individu peut trouver sa place dans un groupe, et dans une histoire.