Livre lu dans le cadre de la seconde sélection du Prix des Auteurs Inconnus 2024, catégorie blanche, dont je suis l'un des jurés.
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Ce livre figurait parmi mes extraits préférés dès la phrase un de présélection. Pourquoi ?
Tout d'abord, parce que la couverture de celui-ci, malgré sa froideur, m'a touchée, ainsi que la beauté de son titre.
Parce qu'il a la mérite de porter le focus sur une cause qui me tient à coeur et dont peu de romans se font l'écho : les cancers pédiatriques.
Parce qu'il donne à voir le rôle inégalable des soignants, mais aussi, celui plus méconnu des intervenants bénévoles qui tendent à éclairer le quotidien des petits patients.
Parce qu'il évoque l'extrême difficulté - voire l'impossibilité - pour les parents de faire le deuil d'un enfant.
Parce qu'il pose la question de la culpabilité et ses conséquences conscientes et inconscientes.
Parce qu'à travers son titre, il laissait entrevoir l'espoir.
Parce que d'emblée, dès le début du livre, on comprend que l'histoire sera portée par deux personnages (un masculin/un féminin) des plus intéressants par leurs métiers, par leurs personnalités, par leurs fêlures aussi.
Je suis très attachée à une citation de
Paul Eluard : "Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous." Clairement, ici, cette citation se vérifie une nouvelle fois.
Pas de hasard, en effet, si à un instant T de sa vie, Charlotte, déjà 38 ans, a ressenti le besoin de faire mieux, de faire plus dans ses actions de bénévolat, en créant - via son association "Les Tartuffes roses" - ces ateliers Récré-théâtre qui lui tenaient à coeur à destination des petits patients du service d'oncologie pédiatrique de l'hôpital La Méjane à Marseille, pour dit-elle : "les faire s'évader", "les aider à garder leur âme d'enfant", "apporter du normal à l'anormal".
Pas de hasard, non plus, si Félix, un éminent pédiatre oncologue - dont la vie professionnelle et personnelle est plombée par un deuil dont il n'arrive pas à se remettre - rue dans les brancards dès qu'il apprend l'intention première de l'intéressée avec laquelle on lui a pris rendez-vous. Pour lui, qui se bat au quotidien contre la mort, pour obtenir des crédits et faire avancer la recherche, ces futilités n'ont aucun sens sinon peut-être celle d'occuper et de valoriser une bourgeoise désoeuvrée.
Donc, une rencontre des plus explosives dont assez rapidement on subodore qu'il se passera un truc entre ces deux-là. C'est un peu cousu de fil blanc, ces antagonismes qui, un moment donné, se rejoignent (un peu à la façon des romances à la sauce hollywoodienne). Deux histoires compliquées, deux personnalités affirmées, des compétences éprouvées dans des domaines différents, des mal-être que tous deux cachent dans une activité débridée et qui s'expriment pour l'un via l'introversion et l'agressivité et pour l'autre via l'extraversion, la communication et une joie de vivre peut-être un peu surfaite.
Néanmoins, le chemin est long à parcourir avant que ne se révèlent les vrais enjeux de cette rencontre. Dans une écriture fluide au registre de langue simple, on suit par alternance, le vécu de Félix confronté à la nécessité de prendre du repos forcé et celui de Charlotte qui commence à mettre en place ses ateliers Récré-théâtre.
Via le regard de Charlotte, le lecteur entre par la petite porte d'un service d'oncologie pédiatrique et comme elle découvre la lourdeur des soins, le courage des petits patients, la détresse des parents, la présence des soignants et des bénévoles, l'ambiance des lieux le jour et la nuit, les liens particuliers qui peuvent se tisser entre patients ou encore entre médecins/patients. Il découvrira, comme elle, la joie et la force de se battre que peuvent apporter ces moments de lâcher-prise, ces moments d'évasion d'une réalité des plus terribles. Et sera aussi amené à s'interroger : convient-il de leur permettre de vivre à plein le moment présent ou vaut-il mieux attendre qu'ils soient mieux ?
Via le regard de Félix, le lecteur se sent ému du lien privilégié que, malgré son vécu douloureux, celui-ci a établi avec ses petits patients qu'il appelle ses Pokémons. On mesure aussi l'extrême pression qui pèse sur les épaules d'un chef de service confronté au manque de moyens pour faire plus, pour faire mieux, pour faire plus vite, mais aussi confronté, impuissant, à la souffrance et à la mort de ses petits patients. On mesure aussi la grande abnégation qui guide, bien souvent, ces professionnels qui font fi de leur propre détresse pour continuer leur combat contre la maladie. Parfois, au détriment de leurs relations humaines et sociales (conjoint, équipe médicale, amis, etc.), mais aussi au détriment de leur propre intégrité psychologique et physique.
J'ai été tout particulièrement sensible à la façon dont l'auteure a su raconter les affres du deuil (tant du point de vue de Félix et de sa femme vis-à-vis de leur enfant, que du point de vue de Charlotte vis-à-vis de sa mère). C'est si bien décrit qu'on se demande s'il s'agit d'une expérience vécue.
L'avancée de l'un et de l'autre sur le chemin de l'introspection, de la prise de conscience de ses difficultés, de la reprise du dialogue avec des proches écartés... avant la potentielle résilience se suit avec facilité et intérêt, même si, de mon point de vue, les derniers chapitres font des plus clichés (romance dans la cabane au Canada).
Sur la forme, j'ai bien aimé les chapitres courts, en alternance, les intermèdes qui donnaient la parole à Zoé (la petite fille de Félix au registre de langue conforme à celui d'un enfant), quelques belles formulations : "l'odeur de l'inquiétude domine", "l'abîme qui s'ouvre engloutit tout", "on apprend à respirer avec la torture du vide en permanence", "le bonheur, plus tu le partages, plus il se déploie. le deuil est un chagrin indivisible que nul ne t'aide à porter." ainsi que la capacité de l'auteure à nous décrire les lieux, les décors, les expressions des uns et des autres, les ambiances, les ressentis.
Seuls bémols pour moi :
des majuscules intempestives, le mot "instrumenté" qui me semble-t-il aurait dû être "instrumentalisé", parfois une richesse de détails insignifiants (notamment sur la partie à Montréal) et la dernière partie par trop romanesque/cliché.
Mais l'essentiel est vraiment ailleurs. Aussi, ces petites choses que j'ai vécues comme de possibles imperfections restent tout à fait supportables au regard de l'ensemble du propos.
Une belle histoire de résilience pour qui s'intéresse à ces sujets dits "sensibles" : la maladie chez un enfant, la mort, la difficulté à faire son deuil, la dépression, la culpabilité et la difficulté à surmonter ce vécu douloureux... ainsi qu'une belle romance pour qui sera plus réceptif à la probabilité que deux êtres déchirés puissent se rencontrer, se reconnaître dans leurs fêlures, et plus si affinités...