Il ne fallait rien moins qu'un bouquin sur un nazi pour me soustraire à la superficialité de ma vie.
Tout cela est très délassant, un dérivatif douteux comme il est vrai que le nazisme m'égare dans un voyeurisme pisseux, un mal à propos aussi facétieux qu'un glaviot sur mon visage.
Je m'établis avec facilité dans ce livre, l'accueil est placide, la narration fonctionnelle me réservant sans façon la déconfiture de Mengele. Je me mets donc à l'aise, les panards du côté de la grande histoire, la saluant au passage, je me redresse un peu, question de respect, suffisamment pour admirer l'emplâtrage de ce nazillard de seconde zone dont la destinée n'intéressait pas grand monde avant la fin des années 50.
En déployant ma carte routière destination fêlés-du-casque sur laquelle les points d'intérêts ne manquent pas, je me délecte toute entière de cet hobby délicieusement douteux, je convoque le pire, charnier, camp, génocide, goulag, pogrom, que sais-je, ça pisse de tous les côtés, j'aligne donc les feutres, j'ordonnance le code couleur, je pioche selon l'inclinaison de la dégueulasserie.
Je fais la moue. Comment ce Mengele a-t-il raflé tant de postérité ? Après la guerre, il n'y avait qu'à se baisser pour attraper de la blouse blanche à croix gammée. de là quand on sait que la plupart ont rouvert leur cabinet médical sans trop de fâcherie, éclipsant la merde sous le tapis avec l'air absorbé de circonstance, et sans besoin de mettre le turbo car au moment de passer à la caisse de la responsabilité, du self-service à l'addition, c'était du gratis ; alors qu'on m'explique, a-t-on crucifié Mengele pour absoudre le reste de l'intelligentsia ? A-t-il trinqué pour tous ?
Car ce Mengele, au milieu de cette marée puante, après les coteries à la sauce Wagner, le shnaps bu entre les bras ronds des secrétaires, à lui tout seul, il nous a bouffé toute la couverture médiatique, raflant la destinée du nazillon le plus recherché de son temps. Incroyable car c'est là un gus qui bricolait dans la hiérarchie nazie, les macarons épinglés sur sa veste, du peanut, à peine si l'éclat chatoyait la pupille, du pin's à l'apprêt de marchand forain.
Olivier Guez plante donc sa tente là, faisant circuler de formidables exhalaisons, fétides au possible, tant épaisses qu'on s'en pommaderait le tarin. Il nous tapisse une frise d'un clandestin excité aux vices, il s'applique dans un soin officieux, presque impératif, car sans doute que Monsieur Guez s'est incarcéré dans un plan glauque, je me figure le coup mental de cette opération biographique, affreux, remettre de l'ordre dans cette cavalcade tremblante. le ton est journalistique, nous évite le sensationnalisme facile ou les suppositions oisives. le livre s'épaissit au gré du factuel, hors d'une forme de fantaisie narrative qui viendrait draguouiller le lecteur.
L'auteur est démerdard, il lève rapidement la difficulté de s'identifier à Mengele, ce remarquable pleurnichard singulièrement émotif quand il s'agit de sa propre vie. Je me réjouis du destin post-Reich de l'homme, mon sourire s'est arrondi au fur et à mesure de ma lecture, la fable se pénètre d'une forme de cynisme.
La carne a fini par en chier un peu, il s'est rétréci à l'état de larve qui s'embourbe dans un cache-cache de hors-la-loi. Les tripes nouées, les années le fracassent dans un dénuement de chien galeux, il manque d'air, planqué dans une gargote d'un quartier de guenilleux. Il amorce sa vieillesse les fesses serrées, il devient un vieux vétilleux qui chouine car personne n'est plus là pour lui torcher son derche, il flasque dans sa culotte, marmonnant ses trésors d'inquiétude, cafouille, ça se bouscule au portillon mais plus personne n'est là pour écouter. Hum. Dommage.