Les extravagantes soeurs Mitford

Des pays entiers, l’Allemagne, la Russie soviétique, sombraient dans le cauchemar. L’adhésion enthousiaste d’un peuple civilisé comme le peuple allemand aux fantasmes de l’hitlérisme, l’adhésion non moins enthousiaste de centaines de milliers d’ouvriers et d’intellectuels à l’imposture stalinienne représentent, en dépit de toutes les explications rationnelles, d’angoissantes énigmes historiques. Mais pour ceux qui vécurent les années 30, la question ne se posait pas ainsi. Il s’agissait de savoir de quel côté de l’horreur chacun trouverait son salut.

Sans doute parce qu’il souffrait d’une abondance de dons personnels, fortune, intelligence, courage, Mosley se croyait élu par l’Histoire, le héros sauveur de l’Angleterre. La vanité, l’impatience, l’incapacité de s’accorder au véritable tempérament de son pays gâchèrent l’avenir qui s’offrait à lui. Cet homme de vieille famille patricienne né pour la noblesse et les grands emplois fut conduit à singer ces rois des bas-fonds que furent Hitler et Mussolini et à sombrer dans le grotesque.

Unity et Jessica arrivèrent à l’adolescence (dans les années 30) au moment où l’Angleterre et les autres pays occidentaux subissaient les effets foudroyants du krach de Wall Street. Le bel optimisme né d’une rapide prospérité s’évanouissait pour faire place à l’angoisse. Le chômage et la crainte grandissante d’une nouvelle guerre mondiale créaient un nouveau climat moral et intellectuel qui changea la couleur du ciel pour toutes les classes de la société, y compris l’aristocratie. Même les jeunes filles de Swinbrook, perdues d’ennui au milieu des vertes collines et des villages pittoresques des Cotswolds, allaient en être affectées.

« Le sauveur de l’Allemagne sera un célibataire. » Ce célibat, ce refus de toute liaison féminine, finirent quand même par faire jaser. Helene Hanfstaengl, la femme de Putzi, eut beau être désirée par Hitler, elle le considérait comme un « châtré ». Quand il se laissa enfin entraîner à prendre maîtresse – il avait plus de quarante ans – ce fut autant pour se prouver à lui-même qu’il était un vrai mâle que pour le prouver à ceux qui en doutaient.

À chaque naissance, on interrogeait du regard la gouvernante ou la sage-femme, on obtenait toujours la même réponse navrée : « C’est une fille. » Plus navrée que tous était l’aînée, Nancy, qui, selon ses propres paroles, considérait l’arrivée de ses sœurs comme « extrêmement peu nécessaire »