Ses yeux sont désespérés. Au milieu de cette agitation, elle ne s’est jamais sentie aussi seule. Elle a beau être la femme du président, en cet instant, elle n’est personne.
Jamais il n’avait mesuré à quel point une épouse peut être un atout. Sans le formuler, John a voulu imposer une clause de tolérance tacite entre eux dès leur mariage. Il la laisse libre de faire campagne ou non, de répondre à ses obligations de femme d’homme politique ou non. Il lui laisse toute latitude pour sacrifier aux mondanités à New York, en Europe, ou de s’adonner à sa grande passion : la chasse au renard. En retour, elle doit accepter de lui laisser du champ, sans trop chercher à savoir ce qu’il fait de son temps libre.
Le courant passe mal entre les vingt-quatre ans de Jackie et les trente-six ans de John. Lui qui poursuit une course effrénée n’a ni le temps ni l’envie de la connaître. Hyperactif, il vit au sein d’une meute à l’affût de tout et de rien. Elle, la solitaire qui depuis l’enfance aime le calme, le dessin et la lecture, a du mal à comprendre cette vie superficielle où hier est déjà oublié et demain si loin.
Elle n’aime pas cette mafia irlandaise qui tourne autour des Kennedy. Aujourd’hui, elle a pourtant appris à les connaître et apprécie leur fidélité indéfectible à John.
Mais ils incarnent un monde de beuveries et de combines. Surtout, pour elle, à l’époque, la politique n’est pas une activité pour la gent féminine. Le but d’une femme « bien » doit être d’élever ses enfants et de rendre son mari heureux. Seules les féministes affichent des opinions politiques ! Pure Américaine, Jackie ne voudrait pour rien au monde leur ressembler. Ce n’est pas un compliment. Elle découvre sur le tas, et à ses dépens, que chacune de ses prises de parole est en réalité déjà « politique ».
Les journalistes de Washington voulaient tous rencontrer celle qui n’était encore que Mlle Jacqueline Bouvier. Pourtant, une fois marié, le jeune sénateur plein d’avenir n’a pas cherché à utiliser l’agitation médiatique produite par l’arrivée de Mrs Kennedy. Jackie se rend compte soudain qu’ils n’en ont jamais discuté. Après leur mariage, il a repris sa vie telle qu’elle était, sans l’associer à sa carrière. Certains rédacteurs s’étaient d’ailleurs étonnés de le voir parcourir le pays en célibataire. Ils voulaient davantage connaître la femme qui avait su harponner le célèbre womanizer.
Le président est formel : le but de ce voyage, c’est que « les gens voient Jackie », devenue le ticket gagnant des prochaines élections. Qui aurait cru un tel changement possible de la part de John ? Belle revanche pour la première dame qui, il y a peu, était souvent cachée comme une pestiférée. Oui, en regardant sur le tarmac de l’aéroport de Dallas tous ces gens l’acclamer, en entendant tous ces « Jackie ! » lancés par la foule, la première dame ne peut s’empêcher de penser au chemin parcouru.