Voilà plusieurs semaines que ce livre m'a été prêté, plusieurs semaines qu'on m'incite à le lire, plusieurs semaines que je n'en ai ni l'envie, ni le courage... Et s'il ne rentrait pas pile poil dans le défi mensuel de ce mois d'avril, j'aurais certainement fini par le rendre sans l'avoir ouvert. J'ai longuement hésité à partager mon retour sur ce livre, car impossible de ne pas le rendre trop personnel. Puis après tout, maintenant j'arrive à en parler sans m'effondrer, alors allons-y.
Marianne Guillemin a vécu douze ans avec un pervers narcissique, il lui aura fallu vingt ans de plus pour arriver à mettre des mots sur cette période qui l'a déconstruite à petit feu. Elle débute son livre avec sa rencontre avec lui (je viens tout juste de me rendre compte qu'elle ne le nomme pas une seule fois), elle nous parle de son mariage, de sa vie de couple (qui n'en est pas une mais ça on ne s'en rend compte qu'une fois libérée), sa vie de famille, leurs trois enfants, les violences physiques et psychologiques, le déni, la période qu'elle appelle d'adaptation, l'élément déclencheur qui lui a ouvert les yeux et permis de prendre enfin la décision de partir. Puis il y a l'après séparation, parce qu'il ne faut pas croire qu'on en a fini avec eux quand on les quitte, eux et leur emprise : le divorce, les batailles par avocats interposés, les menaces, les insultes, les chantages, les enfants au milieu, sa propre reconstruction, son installation dans sa nouvelle vie, les difficultés financières. Jusqu'au jour où elle se rend compte qu'elle n'a plus peur de lui et qu'elle se sent enfin prête à raconter son histoire...
Si
Marianne Guillemin écrit très bien, on peut percevoir dès les premières lignes sa formation de journaliste. Elle écrit les faits, les événements tel un article de journal, sans fioritures, clairement. Elle évoque ses propres réactions face aux violences de son mari, sans jamais s'étaler dans ses émotions, ses ressentis. En temps normal, il y a de fortes chances que ça m'aurait gênée. Pas là, au contraire, j'ai pu la lire avec tout le recul nécessaire pour arriver au bout de son histoire. Ce ne fut pas aussi dur que ce que je pensais.
Car bien qu'elle soit très différente de la mienne, son histoire est aussi très similaire. Les quatre phases dont elle parle, j'y suis passée aussi, je les ai reconnues... C'est après coup, quand enfin on y met de la distance, qu'on se rend compte de beaucoup de choses : les premiers signes qui auraient dû nous mettre la puce à l'oreille dès le début, notre responsabilité et la sienne, un engrenage qu'on aurait finalement pu quitter bien plus tôt. La question qu'on se pose encore et encore, et dont on peine à répondre : Pourquoi ne suis-je pas partie plus tôt ? Et puis, avec le temps : Comment ai-je fait pour supporter tout ça si longtemps ?
Voilà donc,
Marianne Guillemin peut enfin mettre des mots sur cette période, mais je me rends compte qu'elle rencontre encore des difficultés à en mettre sur ses ressentis propres. Elle parle très bien de lui et de ses comportements déviants, elle parle très bien des différentes réactions qu'elle a eues pour y faire face, elle parle très bien de ses enfants qui ont eux aussi beaucoup souffert. Elle évoque très bien sa peur de lui et de ses réactions potentielles, son déni, son espoir de le voir changer, de le voir guérir en adoptant les comportements qu'il attendait d'elle (là aussi, il faut du temps pour comprendre que quoi qu'on fasse ou pas, quoi qu'on dise ou pas, rien ne changera car rien n'ira jamais). Mais elle ne rentre jamais dans les détails quand il s'agit de dépeindre ses émotions, ses douleurs (physiques aussi bien que morales), ses angoisses, ses appréhensions.
Elle n'est absolument pas dans le larmoyant, elle ne cherche absolument pas à faire pitié, elle assume sa part responsabilité mais sans culpabiliser (plus maintenant en tout cas). Et je lui en sais gré.
Si ce livre peut permettre à d'autres femmes d'ouvrir les yeux sur l'homme qui partage leur vie, alors tant mieux. Pour ma part, je l'ai eu entre les mains bien des années trop tard... (et encore, ce n'est même pas dit que j'aurais fait le lien avec ma situation à ce moment-là, la période de déni et d'espoir durant un certain temps...). En revanche, c'est malheureux, et peut-être inapproprié de le dire, mais ce genre de livres est tout de même rassurant, puisqu'il nous permet de nous rendre compte qu'on est pas le/la seul(e) à s'être fait piéger.