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3,6

sur 300 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Paradis, ce roman écrit par Abdulrazak Gurnah, prix Nobel de littérature 2021, nous plonge au début du vingtième siècle, dans cette partie de l'Afrique de l'Est qui couvrait à l'époque un territoire depuis le Tanganyika jusqu'à Zanzibar et qui forme l'actuelle Tanzanie.
Nous découvrons le jeune Yusuf, un adolescent dans sa douzième année qui vit dans la tranquillité d'une famille harmonieuse auprès d'un père secret et d'une mère aimante.
De temps en temps, l'oncle Aziz, un marchand prospère vient leur rendre visite dans leur petit village. Il a l'habitude de s'arrêter chez eux lors des longues expéditions qu'il entreprend régulièrement pour son commerce. Pour rembourser une dette qu'il a contracté auprès d'Aziz, le père de Yusuf fait croire à son fils que ce dernier va séjourner pendant quelques temps chez son oncle. Une joie immense envahit l'enfant, celle de prendre le train, découvrir une grande ville, changer d'air. Mais en réalité Aziz n'est pas son oncle. Et voilà Yusuf emporté loin du giron familial, victime d'un esclavage qui ne dit pas son nom, devenant captif d'un monde nouveau tout en abordant les rivages d'une nouvelle existence qui va le transformer.
J'ai été embarqué dans cette histoire, dans les pas de Yusuf, traversant les paysages de ce texte, depuis l'océan jusqu'aux montagnes, vers les lacs et les forêts, franchissant des terres parfois plus arides. Mais les paysages les plus beaux sont les contrées qui mènent jusqu'au coeur des personnages, jusqu'aux abîmes intérieurs.
J'ai beaucoup aimé ce texte totalement inclassable et c'est sans doute ce qui en fait une de ses particularités pour ne pas dire son charme. Ceux qui aiment les romans qu'on peut facilement ranger dans une case bien précise en seront ici pour leur frais...
Ne pas savoir dans quelle catégorie situer cette lecture qui oscille comme une vague, comme des sables transportés par le vent du désert, pourra déstabiliser certains lecteurs. Ce signe distinctif m'a au contraire séduit. J'ai été pris dans l'oralité tourmentée de cette histoire comme si un griot venait me la chuchoter dans le creux de l'oreille rien que pour moi, parmi le son des tambours et la clameur des cris au loin.
Est-ce un conte oriental ? Un roman d'apprentissage ? Un récit sur l'exil et la mémoire ? La transposition contemporaine d'une fable biblique ? Une méditation sur la nature humaine ?
Croisement des chemins entre Hindous et Musulmans comme les caravanes se croisent dans le sillage des femmes et des hommes qui ont façonné cette Afrique multiple... C'était avant que le colonialisme ne vienne poser un joug supplémentaire, tandis que les marchands cupides couraient après l'or et l'ivoire, tandis que les religions s'affrontaient déjà, faisaient du mal, tandis que l'esclavage déplaçait le destin des enfants et que le chagrin de leurs mères inconsolables continuait de résonner longtemps après dans le silence du ciel et de la terre.
Yusuf est ce bel adolescent qui va grandir dans le fracas d'un monde qui lui échappe. Sa naïveté l'amène à poser sur ce monde en pleine mutation un regard singulier, à la fois attachant et détaché, sans bruit, presque muettement.
C'est l'éducation d'un adolescent, d'un jeune homme qui grandit et perd en chemin son innocence, en même temps qu'il va apprendre la liberté.
J'ai aimé l'amitié qui va se nouer entre Yusuf et Khalil, sortes de « frères ennemis » qui vont se taquiner, s'affronter, s'admirer dans cette captivité qui les a déracinés à jamais...
Ce que j'ai aimé aussi, c'est ce regard sans concession de l'auteur sur sa terre natale, la terre de ses ancêtres, qui, au nom de la sacrosainte tradition, permettait la traite des enfants séparés de leur famille, enlevés, rendus esclaves pour payer la dette de leurs parents, mais aussi les violences subies par les femmes, l'oppression douloureuse des religions.
L'appétit avide des colons viendra plus tard, avec le bruit de la guerre qu'on entend déjà au loin...
Brusquement, une porte s'entrouvre sur un jardin clos et je m'y suis engouffré parmi le parfum des orangers et la fragrance du jasmin. Je suis entré dans ce jardin, moment sensuel pour retrouver la Maîtresse du lieu, une étrange femme âgée qui est comme un oiseau en cage à chantonner le soir tristement. Elle est peut-être devenue folle, mais Yusuf sait lui donner de la joie, comme s'il avait un don.
Mais c'est Abdulrazak Gurnah qui a un don, celui de nous transporter ailleurs, dans un paradis bientôt perdu.
Il y a dans ce récit une tristesse fracturée de lumière, ou bien peut-être c'est l'inverse. Je ne sais plus...
J'ai été dévoré par les insectes, j'ai été écorché par les épines des buissons. J'ai traversé des paysages et j'ai été traversé par des personnages qui demeurent en moi comme l'écho d'une magnifique et poignante histoire emplie d'humanité.
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Peu connu du public francophone, Abdulrazak Gurnah est le deuxième écrivain d'Afrique noire subsaharienne à remporter le prix Nobel de littérature. Les lecteurs français ont eu l'occasion de le découvrir pour la première fois en 1995 dans « Paradis », le premier de ses trois romans traduits dans notre langue.

J'ai également découvert Abdulrazak Gurnah en lisant « Paradis ». J'ai été séduit par son écriture simple mais élégante et vivante. Dans ce roman, Gurnah esquisse le panorama de son pays au début du XXe siècle et s'intéresse aux destins d'individus vulnérables que l'histoire et la géographie malmènent. A travers l'odyssée du jeune Yusuf, vendu par son père en règlement d'une dette, réduit ensuite en esclavage par son « oncle » Aziz, puis lancé à dix-sept ans, au péril de sa vie, sur la route des caravanes à l'intérieur du pays, l'écrivain scrute les innombrables facettes de la servitude, dessinant le portrait d'une population africaine exploitée et menacée par des intérêt puissants.

Le roman crée un espace de réflexion sur la société précoloniale et coloniale de l'Afrique de l'Est où existait déjà, avant l'arrivée des Européens, Allemands, Italiens et Britanniques, une société métisse transculturelle, faite d'éléments culturels et langagiers arabes, africains et hindous, et l'auteur crée une sorte d'interlangue pour représenter un univers métissé des langues et des cultures. L'intrigue se déroule au début du XXe siècle, à mi-chemin entre la domination arabe et la colonisation allemande, au moment où des Européens commencent l'occupation de la côte est-africaine. le texte déconstruit le mythe de l'Eldorado précolonial en soulignant l'implication swahili — société métisse faite d'éléments arabes, indiens, persans, africains — dans la traite des esclaves.

À travers le regard, souvent ironique de Yusuf, le récit s'efforce de restituer ce qu'ont vécu les populations de l'Afrique de l'Est à un tournant de leur histoire, et décrit le piège et l'impasse que porte une idéologie récente dont l'obsession est de dénoncer la colonisation européenne en exaltant la résistance indigène et son exploitation. Les conflits linguistiques, religieux ou ethniques existaient bien avant la colonisation européenne et subsistent encore bien après.
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D'un Nobel à l'autre, d'un bout du palmarès à l'autre, me voilà dans la découverte du Nobel 2021, Abdulrazak Gurnah. Un quasi illustre inconnu quand il obtint le premier, lui-même en fut surpris parait-il. Heureusement, grâce au challenge Nobel, j'avais de bons échos qui me prédisaient une lecture agréable.

Les premières pages me déstabilisèrent. Certes le sujet, un jeune garçon qui voit basculer sa destinée dans l'esclavage est fort. Certes le contexte historique et géographique, la Tanzanie à l'époque des débuts du colonialisme allemand, est intéressant et original.Mais le style paraît assez passe partout, pas mal écrit du tout mais rien qui ne sorte de l'ordinaire, ni flamboyance ni innovation particulière.

Et puis au fil de l'histoire, je commence à comprendre le génie : c'est l'histoire, le récit qui est roi ici. Gurnah rend tout au long du livre hommage aux conteurs, à ceux qui racontent des anecdotes au coin du feu, aux bavards légèrement mythomanes, aux passeurs de légendes. Et pour ces hommes, c'est bien l'histoire en elle-même qui fait toute la force de leur art, pas forcément besoin d'artifice, pas de nécessité d'être original puisque l'histoire doit traverser le temps à travers eux. Difficile d'ailleurs d'extraire des citations qui puissent rendre ce ressenti de lecture, hormis certains dialogues peut-être. Mais ils ne prennent vraiment leur force que par la connaissance qu'on acquiert de ces personnages, par le parcours initiatique dans lequel on accompagne Yousouf.

Côté message, Gurnah donne tout pouvoir au lecteur. J'ai vu sur sa fiche Wikipedia que ce livre était considéré comme une charge contre le colonialisme… Soit nous n'avons pas lu le même livre, soit la subjectivité du lecteur a vraiment une importance capitale. Bien sûr Gurnah fait souligner par certains de ses personnages l'hypocrisie du colonisateur qui compte mettre fin à l'esclavage et aux pots de vin… mais avec le but avoué de prendre le contrôle du pays. Mais quand on observe ceux qui portent cette dénonciation, qui voit on ? Des musulmans du Yémen ou d'Oman, principaux organisateurs de l'esclavage, des Indiens commanditaires qui récupèrent les bénéfices, des tribus qui fournissent assez facilement certains de leurs congénères si le prix payé est satisfaisant, des familles autochtones endettés qui laissent partir leurs enfants en gage. Tout le monde est renvoyé dos à dos à ses propres turpitudes et chaque personnage rencontré passe son temps à critiquer et à appeler à la méfiance contre chaque communauté.

Et au coeur de tout ça j'en oublierais presque le héros, ce Youssouf prophète des temps modernes, directement inspiré du Joseph biblique et du Youssouf coranique, jeune homme loué pour sa beauté, dont les pouvoirs magiques sont espérés… mais surtout frappé, convoité, attouché, peut-être violé si Gurnah a fait le choix de ne pas tout nous dire… Un personnage au centre de tout, mais comme on est au centre de la tempête, sans aucune possibilité de choisir, qui semble parfois dans le confort de n'avoir à rien assumer mais parvient au fil du temps à mesurer la valeur de cette liberté qu'il ne peut connaitre puisqu'il n'a jamais eu à l'exercer.

Pour finir, le Paradis du titre, où peut on le trouver : s'il serait selon certains personnages présent quelque part sur Terre mais protégé des intrusions, selon Amina, autre esclave du seyid (maître) c'est bien l'Enfer qui est sur Terre, avec la vie qu'ils sont obligés de subir. Si le Paradis doit être trouvé, il est dans la nature visitée lors des expéditions dans l'intérieur du pays et que Youssouf admire, sans doute parce qu'elle est encore en majeure partie préservé des folies de l'humain.
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Joseph et la femme de Putiphar est un thème très courant dans la peinture religieuse mais, sans l'auteur de "Paradis", je n'aurais pas pensé à creuser l'histoire de ce personnage biblique même pas prophète quoique très populaire. Joseph, donc, rêve beaucoup, de ces rêves inspirés par Dieu, au grand dam de ses frères jaloux qui le vendent à un marchand d'esclaves. Acheté par Putiphar, il suscite le désir de sa femme qui, éconduite, l'accuse d'avoir voulu la violer. Envoyé en prison, il ravira Pharaon par la précision de ses rêves, en deviendra le premier ministre et finira riche, se payant le luxe de pardonner à ses frères contrits.
Or, si le Coran reprend souvent des personnages bibliques, il développe dans une sourate entière l'histoire de Joseph -désormais Yûsuf- qui n'échappe à la tentatrice qu'en lui laissant un morceau de sa chemise qu'elle déchire (C'est chaud!). Comme le pan abandonné correspond à la partie arrière de la chemise, Aziz, le mari, en déduit que c'était bien sa femme qui courait après le jeune esclave et non l'inverse. Yûsuf va pourtant en prison, mais, selon la version coranique, c'est de son plein gré, pour échapper aux turpitudes de ce monde.
Dans "Paradis", le héros est beau et pur comme un dieu, il suscite le désir de tous et se prénomme Yusuf. Son père l'a vendu à son créancier, le riche marchand Aziz. Et la femme d'Aziz déchirera la chemise de Yusuf...
Bien sûr, Abdulrazak Gurnah ne se contente pas de transposer cette histoire populaire pour le plaisir du clin d'oeil. Son roman évoque le basculement de l'Afrique de l'est dans la colonisation, lorsque son économie fondée sur le commerce caravanier devient impossible, et que les contes narrés par les porteurs autour du feu remplacent peu à peu les djins par les Allemands.
La destinée de Yusuf accompagne cette évolution. Arraché à sa famille, il accompagne son "oncle" Aziz, homme doux et protecteur qui n'en reste pas moins son maître, et croise tous ceux qui ont mis le pied en Afrique: Grecs, Arabes, Indiens, Sikhs, dans ce paradis mis à mal par la cupidité des hommes.
Par la cupidité des hommes et aussi par leur fatalisme. Yusuf aime Amina mais renonce à fuir avec elle. Abdulrazak Gurnah suggère que si Zanzibar est tombé sans grande difficulté dans le giron des Européens c'est parce que ses traditions esclavagistes ont préparé les âmes à l'acceptation. le maître de Yusuf est aussi son père de substitution: quand Aziz lui pardonne, Yusuf a perdu toute capacité à se révolter. Tandis que son homonyme choisissait de fuir en prison pour mieux se rapprocher de Dieu, le héros de Gurnah fuit son maître et son amoureuse, fuit le lâche qu'il est devenu, et rejoint volontairement la colonne de prisonniers emmenés par les Allemands. Yusuf ne le sait pas, mais le lecteur devine qu'il finira en chair à canon, quelque part à la frontière franco-allemande.
Ce très beau roman, roman de l'exil et du renoncement, écrit dans une langue parfaite de classicisme, est enfin édité en français, grâce aux jurés du Nobel qui viennent de couronner son auteur. Qu'ils en soient remerciés!
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Adolescence africaine d'autrefois, un roman du Nobel de littérature 2021
Ce n'est pas vraiment le paradis, puis que le jeune Yusuf de 12 ans a été confié à Oncle Aziz, un riche marchand, en échange d'une dette. Il est donc esclave, mais sa vie n'est pas bien différente de ce qu'elle aurait été dans sa famille, si ce n'est qu'il n'a pas l'affection de sa mère. Il n'est pas maltraité, il est bien nourri et travaille comme il aurait pu le faire chez lui.

Devant l'adversité, le garçon semble un peu froid, stoïque, mais fait d'horribles cauchemars la nuit. Il accompagnera le marchand dans une expédition commerciale périlleuse à travers le pays. Devenu un jeune homme très beau, il s'attirera les regards concupiscents, aussi bien des femmes que de certains hommes.

Un roman qui transporte ailleurs, mais malgré le dépaysement de la situation, on touche des sentiments universels. Demeurer un esclave ou être libre de partir? Et rester dans un lieu, un pays où le hasard m'a fait naître, m'attacher à ce sol parfois ingrat ou à cet emploi monotone, n'est-ce pas ce que font les gens partout dans le monde ? (Il faut que la situation soit vraiment difficile pour que les migrants partent en masse…)

Un bon roman, mais qui ne séduit pas d'emblée, car l'apparent détachement de Yusuf peut rendre plus difficile de s'attacher à lui au départ. (On peut aussi penser que la réaction de Yusuf ressemble à celle d'une victime post-traumatique..)
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Nous sommes en Tanzanie, à une époque qui n'est pas explicitée. Quelques éléments peuvent nous faire penser à la fin du XIXe ou le tout début du XXe siècle. C'est une société complexe, où des populations arabes et indiennes sont venus se mêler aux populations africaines. le personnage principal, Yusuf, est pris à 12 ans comme une sorte d'esclave, par celui qu'il appelle oncle Aziz, à qui son père doit de l'argent qu'il ne peut rembourser. Aziz est un marchand aisé, pratiquant le commerce caravanier à l'intérieur du continent. Il amènera Yusuf qui aura grandi, dans l'une de ses expéditions, qui ne se passera pas comme prévue. Les échanges commerciaux deviennent en effet de plus en plus difficiles, en particulier à cause de la colonisation allemande en train de s'étendre, et qui secoue les équilibres entre les différentes populations, et les pratiques séculières.

C'est un étrange texte, dans lequel il y a de nombreuses références et sous-textes. Par exemple,certains éléments de la vie de Yusuf peuvent faire penser à son presque homonyme, le Joseph biblique. Par ailleurs Abdulrazak Gurnah aurait largement puisé pour écrire son roman, dans des récits oraux en swahili, recueillis par Carl Velten, un Allemand. L'un raconte le voyage d'une caravane en 1891 vers l'intérieur du pays, et l'autre un voyage effectué en Russie et en Sibérie par un Comorien d'origine en compagnie d'un Allemand, le Dr Bumiller. le premier récit est très largement repris pour narrer le voyage de Yusuf, et le deuxième est raconté par un personnage du roman.

Abdulrazak Gurnah agrège tous ces éléments pour en faire un récit cohérent, un roman d'apprentissage, de découverte et de désenchantement. le monde décrit par l'auteur a ses grandes beautés, Yusuf rencontre de personnages attachants, mais il a aussi ses noirceurs, ses cruautés, ses violences. Aziz malgré ses beaux dehors, et son discours empreint de dignité, apparaît de plus en plus comme un personnage trouble et malhonnête. L'auteur suggère la condition très difficile des femmes, questionne la religion et son rôle. Sans oublier les relations compliquées entre les communautés, leurs mutuelles haines et mépris. C'est un Paradis perverti, dans lequel le mal rôde, malgré parfois de belles apparences. C'est aussi un monde en sursis, qui vit ses dernières heures sous cette forme.

C'est incontestablement encore une très belle réussite de Abdulrazak Gurnah, qui puise dans l'histoire de son pays des récits à la fois ancrés dans une réalité très précise, et universels.
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Personnage biblique et coranique, Joseph (que la femme de Putiphar accusa d'agression car il s'était refusé à elle) est ici Yusuf, et il connait la même destinée. Vendu enfant comme esclave en paiement d'une dette à un riche marchand, il grandit à son service, d'abord dans un magasin, puis en accompagnant une expédition caravanière - et ses relations compliquées avec les villages de l'intérieur.
Yusuf est beau et angélique comme dans le mythe, et suscite de nombreuses convoitises, tout en restant chaste et réservé. C'est l'observateur silencieux de ce milieu commerçant où se côtoient plusieurs origines, langues et religions. Tous ces personnages font l'objet de portraits saisissants, d'une grande finesse, à travers leurs débats et leurs plaisanteries.
Les lieux sont peu définis : "sur la côte", "dans la montagne", "la grande forêt", mais c'est avec des yeux de poète que Yusuf les découvre et les décrit : la cascade merveilleuse, la lumière verte de la montagne... sont ses propres images du paradis, tout comme le jardin clos du riche marchand.
Sa vision du monde extérieur lui vient des contes (à l'Ouest, le pays des djinns) ou des propos de voyageurs, le soir autour du feu (la Russie, où l'on peut marcher sur les fleuves gelés) ; mais aussi des récits qui entourent la présence croissante, envahissante, des colonisateurs européens (qui mangeraient du métal).
C'est un extraordinaire voyage initiatique, de l'esclavage vers une liberté amère. Mais c'est aussi pour Gurnah l'occasion d'un voyage à travers la Tanzanie du début du 20ème siècle, retraçant comment la colonisation a marqué la fin d'un commerce caravanier séculaire en Afrique de l'Est.
Belle traduction d'Anne-Cécile Padoux.

Challenge Nobel
LC thématique d'avril 2022 : ''La Nature dans tous ses états”
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Après avoir lu 'Adieu Zanzibar', je n'ai pas hésité à cocher 'Paradis', lors de la Masse Critique littérature et j'ai eu la chance d'être sélectionnée. Je remercie Babelio ainsi que les éditions Denoël.
Abdulrazak Gurnah nous propose un long voyage à travers l'Afrique de l'Est, au début du XX siècle. Dès les premières pages, nous faisons la connaissance de Yussuf, douze ans qui vit pauvrement avec son père et sa mère. Il n'a jamais quitté sa famille et puis un jour, on l'envoie vivre chez oncle Aziz. Pour Yussuf la déception sera grande. D'abord il va apprendre que son père l'a vendu pour rembourser une dette trop lourde et ensuite découvrir que celui qu'il croyait être son oncle, est en réalité un riche marchand. On va suivre son parcours lorsqu'il s'installe chez Aziz et travaille avec Khalil. Beaucoup de rencontres l'attendent lorsqu'il va voyager avec les marchands. C'est l'occasion pour le lecteur d'avoir un aperçu de l'Afrique de l'Est dans les débuts de la colonisation. On découvre l'accueil des autochtones, la violence qu'ils montrent envers les marchands, les dangers, les superstitions, la lutte pour survivre...
Même si le rythme est lent, je n'ai pas eu le temps de m'ennuyer. J'ai beaucoup apprécié cette lecture que j'ai trouvé agréable.
Une belle découverte.
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"D'abord le garçon. Il s'appelait Yusuf ; il avait quitté brusquement sa famille dans sa douzième année. Emmené par "l'oncle Aziz" pour payer les dettes que son père ne peut rembourser, il va découvrir le monde et sa condition d'esclave.
Roman d'apprentissage d'abord mais surtout histoire de cette jeune Afrique de l'Est , victime des marchands qui échangent verroteries et tissus contre les valeurs sûres de l'or ou de l'ivoire avant l'arrivée des colons blancs.
Le regard de Yusuf est naïf mais scrupuleux et juste . Il découvre la beauté des paysages naturels ( cascades, désert) ou fabriqués (jardin, le paradis sur terre ). Il découvre surtout la fragilité des hommes sous leur comportement impassible ou cruel. Il va connaître la faim, la soif, la peur et les premiers émois amoureux.
Un vrai plaisir de lecture : outre Yusuf, on s'attache aussi au sort de Khalil et de sa soeur Amanda, livrés eux aussi pour remboursement de dettes au marchand Aziz et à son homme de main Mohammed Abdalla.
Je découvre cet auteur grâce aux challenges Babelio !
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Le Paradis pour Yusuf, enfant  c'est un jardin enclos dans des murs à Dar es Salam où coulent des ruisseaux, où des arbres fruitiers donnent fleurs et fruits, grenades, oranges, amandes...., où des petits miroirs reflètent les fleurs, où s'élèvent les chants des oiseaux et celui d'une femme.

Le Paradis pour Yusuf adolescent, c'est une cascade dans la montagne dans une végétation luxuriante - Paradis où règne un colon européen qui chasse les intrus - le Paradis, les jardins d'Hérat, dans le récit d'un voyageur...

Le Paradis, c'est l'Afrique de l'Est avant la colonisation britannique, mosaïque de cultures et de peuplement. Traversée de la Tanzanie par la caravane des marchands arabes ou omanais, "sauvages" aux corps peints de rouge - probablement masaïs, commerçants indiens, pêcheurs des Grands Lacs, quelques aventuriers européens...La colonisation allemande se met en place, le commerce des caravanes commence à être entravé, et la mobilisation pour la Grande Guerre mettra fin à une époque.

Le Paradis , c'est un conte oriental. L'enfant Yusuf, illettré, est sensible aux récit des conteurs, il se souvient des contes de sa mère, il boit les paroles des anciens. Son monde et ses rêves sont peuplés de créatures étranges, d'hommes-loups, de djinns, d'afrits, de chiens menaçants. Ses rêves rappellent ceux de Joseph, son homonyme qui a sauvé l'Egypte de la famine. Conte d'une caravane avançant avec tambours et trompettes avec à sa tête l'altier Oncle Azziz et ses séides qui commandent aux porteurs. Il y a aussi une Maîtresse recluse, une fille de roi amoureuse, une orpheline à sauver....

Le Paradis, c'est un roman d'apprentissage : Yusuf est retiré à ses parents alors qu'il est encore enfant, enfant-otage des dettes de son père, enfant-esclave? On va croiser d'autres enfants de cette traite,  d'un esclavage qui ne dit pas son nom. Yusuf en apprentissage du métier de commerçant, dans la boutique de son maître, puis dans un entrepôt, enfin en expédition quand il arrive vers l'âge adulte. Au cours de ses tribulations il va apprendre à lire le Coran (alors qu'il ne comprend pas l'arabe), des rudiments d'anglais avec un indien un peu mécanicien, un peu trafiquant...

Yusuf est un beau personnage qui traverse un monde souvent cruel. A côté du paradis, il verra un peu de l'Enfer sur terre mais n'en concevra pas d'amertume. Et le lecteur le suivra émerveillé.
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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