Voilà. C’est fini.
Johana m’a fait adresser son nouveau roman. Il s’appelle « Mör ». Comme je parle vachement bien le suédois, je sais que ça veut dire tendre.
Mais non… Pas tendre dans ce sens-là. Tendre pour la viande.
Tu vois le truc ?
Johana, tu te souviens, c’est ma baffe de « Block 46 ». Dis pas que tu l’as pas lu, tu vas avoir l’air ridicule.
Mais bon en même temps, c’est ton choix.
Alors « Mör », c’est du noir. Forcément. La dame, malgré son joli sourire et ses grands yeux candides, elle écrit des trucs graves lourdingues. On est plutôt très loin des barbelés du précédent, mais on est juste à côté, encore, des noirceurs de l’âme de certains humains.
Je t’explique.
Une femme, retrouvée morte, à qui on a enlevé des morceaux.
Les meilleurs morceaux. Et forcément, ça fait penser à Jack the ripper, vu que lui aussi c’était son truc, le dépeçage.
Du coup, j’ai passé deux jours avec Alexis, Emily, et leurs collègues, et puis j’ai surtout passé deux jours avec Aliénor. Aliénor, c’est une femme comme je les aime. Elle est Aspie, comme elle dit. Aspie, c’est Asperger, avec tout ce que ça implique de tendresse et de sourires qu’elle ne comprend pas, mais que toi tu peux pas faire autrement. Tu verras, tu vas pas pouvoir t’empêcher de lui sourire.
Sans doute le personnage dont j’aurais voulu que Johana fasse un roman, et sur lequel j’aurais aimé qu’elle s’attarde encore plus. Mais c’est mon côté sombre qui ressort… Aliénor m’a fasciné, et c’est tout, mais chut… Je dois rien dire.
L’histoire, vu que le roman sort aujourd’hui, je vais évidemment pas te la raconter. D’autres vont s’en charger pour faire les malins, alors tu les liras.
La Suède, forcément, eu égard aux deux Vikings qui partagent la vie de la donzelle.
Et puis il est fascinant ce pays qui a fabriqué des bateaux qui ont navigué sur les flots jusqu’en Afrique… D’ailleurs, au vu de ce que la dernière série à la mode nous a révélé, le sacrifice humain, le dépeçage à la hache, ils sont assez coutumiers du fait… Ils l’étaient en tout cas. Aujourd’hui, je sais pas, mais je dis ça, je dis rien, si un jour tu n’entends plus parler de Johana Gustawsson, tu sauras pourquoi.
Bon, je vais parler du roman un peu…
Tu vas l’ouvrir et ne pas le lâcher. C’est ce que j’ai fait. J’ai tourné les pages, l’une après l’autre, pour voir où elle m’emmenait. Des chapitres très courts, qui t’obligent à te poser des questions sur la suite, et puis sur l’Angleterre du dix-neuvième, que je ne connaissais qu’à travers « From Hell » et quelques romans.
Tu chercheras. Je vais pas te mettre toutes les références, on en a pour des plombes.
Parce qu’il y a ça aussi. Les kilos de documentation qu’elle a dû remuer avec ses petits bras, Johana, je te fais pas un dessin. J’ai pensé durant certains passages à London, et à son livre « Le peuple de l’abîme » (et si tu l’as pas lu, ben tu devrais, c’est London quand même, et t’as eu le temps, il est sorti en 1903), à ces gens qui dormaient debout les uns contre les autres parce que se coucher dans la rue était interdit. Ça te rappelle quelque chose à toi aussi ? Mais attention, quand je dis que ça m’a fait penser à London, on en est à environ un million de kilomètres quand même…
Mais je t’entends me murmurer la question qui fâche. « T’as aimé ? »
Bon, je suis pas tombé de mon canapé, et j’ai pas détesté, mais franchement, c’est juste un roman « à la mode ».
Je vais pas te mentir non plus, tu me connais, j’ai pas pris la claque de « Block 46 ». Sans doute parce qu’il m’a manqué le cerveau du tueur, et sans doute une vraie histoire, ce qu’elle m’a fait toucher dans le roman précédent parce que je suis un peu barré, et que j’ai besoin d’avoir accès à ces psychoses et à ce qui les a amenées à la surface. À ce qui a transformé ces gosses en meurtriers, et là, même si c’est dit, je suis pas rentré dans sa tête. Comme si elle s’était assagie (un peu), comme si elle avait refusé de se laisser aller jusqu’au bout des fantasmes du tueur et qu’elle avait refusé de rentrer dans sa tête. Parce que quand t’écris, c’est des morceaux de toi que tu mets dans les pages, et que parfois c’est tellement difficile de pas laisser couler tes larmes que tu préfères le silence aux mots sur le clavier. Comme si la pression qui pèse sur un premier roman était finalement moindre et laissait plus de place aux tripes dont parle Bukowski.
Tu vois le truc ? Pas de tripes.
La fin, aussi, m’a un peu laissé perplexe. Trop de trucs mis en place qui te tombent sur la gueule, presque comme des évidences, des hasards heureux ou des morceaux d’une toile patiemment tissée par l’auteur et qui vont te coller aux pattes. Des personnages qui réapparaissent brutalement alors que tu les pensais secondaires, ils se mêlent et s’entremêlent dans un joyeux bordel au point que je me suis posé des questions sur ma capacité à suivre le méli-mélo.
L’avantage de cette toile qu’elle a tissée justement, c’est que tu vas tourner les pages.
Si c’est ça le but, c’est parfaitement réussi.
J’espérais sans doute beaucoup plus qu’un simple roman noir, sur fond d’Angleterre et de Suède.
J’espérais sans doute un autre « Block 46 », capable de la même violence et des mêmes émotions, des mêmes sanglots que tu retiens parce que quand même je vais pas chialer.
C’est là mon erreur.
Elle a choisi de ne pas écrire le même roman, elle a réussi, et elle a sans doute eu raison.
Les lecteurs vont adorer et être complètement enthousiastes, malgré le manque évident de qualités littéraires.
C’est donc ma faute, ma très grande faute.
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