Citations sur Le colonel et l'appât 455 (18)
La torture, à l'instar de l'amour, brise, déforme et transforme. Indubitablement. L'amour comme la torture plient les corps. Des précipices de tourments. Ils mortifient l'âme au plus profond du chaos intérieur. Là où l'être se désintègre.
Je me demande si le verbe n'est pas la source de tous les malheurs de l'homme.C'est bien vrai, mon couillon, le verbe rend maboul dès que tu te mets à faire des phrases ! Tu finis dingue à force de les tourner et de les retourner dans tous les sens. Questionnements sans réponses valables. Thèse, antithèse, synthèse, et surtout foutaise pour finir.
J'ai avalé tous les feuillets avec les poèmes écrits pour Dél. Un jour poussera un jardin dans mon ventre. Avec des arbustes et des fleurs en papier recyclés noircis de mots d'amour en lambeaux, des mots écorchés, et j'en ai bien peur répugnants, barbouillés de larmes de sang.
Les manifestations pacifiques sont interdites, au nom de Dieu. Les contestataires sont considérés d'emblée comme des traîtres et des vendus à la solde de l'ennemi agresseur. La chasse aux sorciers contre-révolutionnaires est lancée sur ordre du Commandeur et par la volonté de Dieu. Le pays sera nettoyé des récalcitrants de tout bord grâce à l'aide de Dieu. Toute personne soupçonnée d'agissement suspect en temps de guerre est passible de la peine capitale sur le lieu de son arrestation, sans autre forme de procès, avec le consentement de Dieu. Puisque l'ultime juge n'est que Dieu. Amen.
(p. 64-65)
Tout élément intelligible dans l'univers assourdissant d'une prison où les êtres dotés de parole ne parlent pas mais hurlent, beuglent, vocifèrent - les uns de douleur, les autres pour infliger terreur et douleur - devient une nécessité de survie.
(p. 48)
Je médite le terme Dieu. Projection de la volonté de puissance du mâle qui sert les tyrans comme les démocrates oligarques. Un Dieu à l'endroit qui protégerait contre son double à l'envers qui terrorise. Les deux sont armés. Machette, couteau, sabre ou mitraillette pour l'un, avion de chasse, bombardier, drone de combat pour l'autre. Lequel est derrière les actionnaires et les patrons des usines d'armement.
(p. 104)
[une victime de tortures]
Je dois dépasser le passé. C'est mon psy qui me le dit à longueur de séance. Non, il ne dit pas dépasser, mais plutôt affronter, confronter. Oui, il dit que je dois me confronter à mon passé. Eh bien voilà, cher psy, mon passé me fait face. Tranquille. Comme si de rien n'était. Le voilà mon passé. Je vais converser avec un de ceux qui ont démoli ma vie. Un de ces enfoirés qui ont tué l'enfant que je portais. Il est devant moi. On va voir si j'ai les nerfs pour affronter mon passé.
(p. 33)
N'est-ce pas dans l'idée de la perte que l'on mesure l'intensité vertigineuse de l'amour. Et dans l'espoir des retrouvailles la force de vivre.
J'ignore qui est Soljenitsyne. Youri brandit le bouquin qu'il tient à la main. Marmonne, un type à te foutre le bourdon. Un type qui a pourri ses os en Sibérie. Qui te ressert sa pourriture. En t'enfonçant bien le nez dans la putréfaction invisible à l'oeil nu. Celle de l'âme et du coeur. Il te balance le tout en quelques phrases et ça marche. Tu as envie de cracher tout ce que tu as dans le corps, des tripes jusqu'à l'air de tes poumons devenu soufre.
(p. 100)
[elle] pointe du doigt la voûte céleste et crie de toute sa force voilà ce que j'adule. Mon Dieu n'est qu'intelligence concentrée, un trou noir supermassif. Le cosmos ou la complexité d'un ordre né du désordre. Ce qui nous dépasse mais qui ne nous est pas accessible. En aucun cas. Les voies de mon Dieu ne sont pas impénétrables. La science est sa seule Loi. Comment veux-tu que je prie un Dieu ignorant, vindicatif, jaloux, rancunier, hargneux et crétin à souhait, à l'image de ceux qui se prétendent ses représentants ? Les représentants du mien sont Galilée, les Khayyam, les Einstein.
(p. 132)