Citations sur Jan Karski (58)
Et même si je n’avais pas réussi à delivrer mon message, je le le portais encore en moi,avec la fidélité du témoin dont la parole attend son heure. Les hommes meurent, mais la parole ne meurt jamais ; et mon deuil était avant tout une manière de prendre soin de cette parole, de la laisser résonner en silence.
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Il est impossible, lorsqu'on est témoin, de ne témoigner qu'une seule fois : quand on a commencé à témoigner, il faut témoigner sans cesse, la parole ne doit plus s’arrêter, il faut que le monde entier en profite.
Mais lorsqu’on ne parle plus, on est à chaque instant en première ligne. On ressent violemment la moindre émotion, il n’y a plus de filtre — on n’est plus qu’une émotion à vif. Et puis j’ai découvert que seul le silence est libre. Lorsqu’on fait voeu de se taire, on tranche les dernières attaches, on échappe à tout ce qui retient. Il y a quelque chose d’absolu dans le silence, une fierté qui m’a sauvé la vie.
L'extermination des Juifs d'Europe n'est pas un crime contre l'humanité, c'est un crime commis par l'humanité par ce qui, dès lors, ne peut plus s'appeler l'humanité (page 167)
Les phrases de Jan Karski n'ont plus de souffle. Elles sont minuscules, un mot, deux mots, pas plus. Tout à l'heure, il récitait avec une lenteur articulée les longues tirades que les deux hommes lui avaient dictées. Maintenant, le langage n'a plus de vie, il ne cherche plus à convaincre ni à expliquer, il ne pourra secourir personne. De pauvres visions s'accrochent à de pauvres mots: oignons, biscuits, yeux, seins.
Prétendre que l'extermination est un crime contre l'humanité, c'est épargner une partie de l'humanité, c'est la laisser naïvement en dehors de ce crime.
Il est rare qu’on parvienne à obtenir de bonnes pensées : la plupart du temps nos pensées sont en miettes, elles se brisent. Moi, c’est dans cette baignoire que j’ai eu mes meilleurs pensées : des pensées claires, solides, des pensées qui vous comblent.
Il crie à Jan Karski qu'il n'est pas question de politique ou de diplomatie : "Dites-leur que la terre doit être ébranlée jusque dans ses fondements pour que le monde se réveille enfin."
Borzecki est extrêmement déterminé; il fait savoir à Jan Karski que si ça tourne mal, il n'hésitera pas à se suicider. Il lui montre sa chevalière : lorsqu'on touche un petit ressort, le chaton de la bague se soulève, et l'on découvre une poudre blanche. Jan Karski remarque en riant que les Médicis et les Borgia utilisaient ce genre d'expédient, mais qu'il ne pensait pas voir cela à Varsovie, au XXe siècle. Borzecki répond que les temps changent, mais pas les hommes : il y a toujours les proies et les chasseurs.
La maison est glaciale. Borzecki est en manteau, il propose du thé et des biscuits à Jan Karski, qui prend place dans un fauteuil. Borzecki reste debout; il arpente la pièce, les mains croisées dans le dos. C'est quelqu'un qui pense que Dieu a placé les Polonais "au pire endroit du continent le plus troublé, entre des voisins rapaces et puissants." La Pologne a, selon lui, pour destin d'être éternellement dépouillée, de reconquérir sa liberté, pour la perdre à nouveau.