Citations sur Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933 (117)
l’étrange talent de mon peuple à provoquer des psychoses de masse (Talent qui est peut-être le pendant de son peu d’aptitude au bonheur individuel)
Curieusement, de tous les êtres à qui j'avais eu affaire, seule était demeurée la petite Charlie, mon amourette de carnaval. Elle restait. Elle était le fil rouge qui traversait le tissu gris de cet invraisemblable été : une histoire d'amour un peu mélancolique, un peu ratée, pas tout à fait heureuse, mais une histoire d'amour quand même, non entièrement dépourvue de douceur.
L'homme prudent, c'était notre impression à tous, risque tout autant que l'audacieux, mais renonce en outre à l'ivresse de l'audace.
C'est pourquoi ils ne ressentirent pas la fin des tensions publiques et le retour de la liberté privée comme un cadeau, mais comme une frustration. Ils commencèrent à s'ennuyer. Ils eurent des idées stupides, ils se mirent à ronchonner - et pour finir à appeler avidement de leurs vœux la première perturbation, le premier revers ou le premier incident qui leur permettrait de liquider la paix pour démarrer une nouvelle aventure collective.
L'homme prudent [...] risque tout autant que l'audacieux, mais renonce en outre à l'ivresse de l'audace. (p.324)
Tel est le processus évident, clair et bien délimité qui se présente aujourd'hui avec le recul, à l’observateur. Tandis qu'il se déroulait, il m'était bien sûr impossible de le voir dans son ensemble. Je sentais bien, et c'était assez terrible, que tout cela était écœurant jusqu'à la nausée, mais j'étais incapable d'en saisir et d'en classer les éléments. Chaque fois que l'on essayait de comprendre, on voyait s'interposer comme un voile ces discussions infiniment oiseuses et stériles, toujours recommencées, au cours desquelles on s'efforçait de faire entrer les choses dans un système de notions politiques obsolètes qui ne leur était plus adapté. Comme ces discussions paraissaient inconsistantes aujourd'hui, quand un caprice de la mémoire en fait remonter à la surface des brides et des lambeaux! Avec notre culture historique bourgeoise, nous étions intellectuellement démunis devant cette évolution qui ne s'était jamais produite dans tout ce que nous avions appris. les explications étaient absurdes, les tentatives de justifications parfaitement stupides- mais les constructions de fortune que la raison tentait d'édifier autour de ce sentiment d'effroi et de dégoût, qi ne trompait pas étaient aussi désespérément superficielles.
Tous les ismes qu'on mobilisait étaient d'une inanité qui me faisait frissonner quand j'y pense.
J’ai déjà mentionné en passant que l’aptitude de mon peuple à la vie privée et au bonheur individuel est plus faible que celle d’autres peuples. J’eus plus tard l’occasion d’observer en France et en Angleterre, avec un certain étonnement et non sans envie, que l’intelligence et l’esprit qu’il met à boire et à manger, la joute oratoire entre hommes, l’amour qu’il cultive en esthète païen procurent au Français un bonheur aussi profus qu’inaltérable et une intarissable source de distractions, et que l’Anglais trouve la même satisfaction dans ses jardins, son amour des bêtes, les nombreux jeux et autres hobbies auxquels il s’adonne avec le sérieux d’un enfant. L’Allemand moyen n’a rien de comparable. Seule une élite cultivée – relativement nombreuse, mais bien sûr minoritaire – trouvait et trouve encore de quoi meubler et réjouir son existence dans les livres et dans la musique, dans une pensée autonome, dans l’élaboration d’une philosophie personnelle. Des échanges d’idées, des conversations sérieuses devant un verre de vin, quelques amitiés préservées et cultivées avec constance et un brin de sentimentalité, sans oublier une vie de famille profonde et intense, voilà les valeurs qui étaient celles de cette élite. La décennie 1914-1924 a presque tout bouleversé, presque tout détruit. La jeune génération a grandi dans un monde privé d’habitudes et de traditions. Histoire d'un Allemand (Un endroit où aller) Sebastian Haffner
P. 156/553
La croix gammée n'a pas été imprimée dans la masse allemande comme dans une matière récalcitrante, mais ferme et compacte. Elle l'a été comme dans une substance amorphe, élastique et pâteuse.
Les nazis [...] n'ont jamais affiché autre chose que le rictus blême, lâche et craintif du meurtrier niant ses crimes.
Nous savions que nous ne pouvions échanger un mot avec nombre de nos contemporains, parce que nous parlions une autre langue. Nous sentions autour de nous surgir le langage des nazis: "engagement, garant, fanatique, frère de race, retour à la terre, dégénéré, sous-homme" - c'était un idiome exécrable dont chaque vocable recelait tout un univers de violence imbécile.