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Critique de LaBiblidOnee


Lecture ludique et jubilatoire. D'abord, quel titre ! Poétique bien sûr, puisqu'emprunté à Baudelaire, mais surtout onirique à souhait, et c'est cet aspect qui sera exploité jusqu'à la moëlle par Steven HALL. C'est typiquement le genre de livre que j'aurais évité il y a encore quelques mois. Mais de lectures en lectures, notre esprit s'ouvre. Et, après Donoso et Danielewski, l'aventure ne m'a plus parue si insensée ni insurmontable. Et puis il y a nos propres expériences, qui peuvent nous faire approcher de plus près certains personnages. Ici, comme dans La Maison des feuilles, il y a plusieurs niveaux de lecture.


. Eric Sanderson se réveille, amnésique, dans une maison qu'il ne reconnaît pas. S'y trouve une lettre dans laquelle son ancien moi lui demande d'aller voir le Docteur Randle qui l'aidera. Celle-ci lui apprend que depuis la mort de sa petite amie, Clio Aames, durant leurs vacances en Grèce, il a connu plusieurs épisodes dissociatifs que la médecine peine à expliquer. Comment reconnaître et accepter sa vie quand la personne qui comptait le plus pour nous l'a brutalement désertée ? Aussi pour conserver le bénéfice du travail qu'ils vont faire ensemble, il doit se concentrer sur leurs séances et ne pas s'occuper d'éventuels messages laissé par le précédent lui. Mais comment résister quand la THERApie semble insuffisante ? Les vrais ennuis commencent lorsqu'une série de lettres et de textes codés envoyés par l'ancien lui-même l'aide à reconstituer la véritable histoire de son passé : Il semble alors qu'un requin conceptuel, qui vit dans les eaux troubles de la pensée et se déplace en suivant les flux de réflexions, de lettres, de mots, de communications humaines, le traque et dévore ses souvenirs, menaçant de le tuer. Pour quelle raison ? Se demande-t-on rationnellement. En tous cas pour survivre, et sauver cette nouvelle fille qu'il vient de rencontrer et qui lui rappelle tant Clio, il n'a pas le choix et doit affronter ce requin conceptuel malgré ses peurs…


« C'est ça, ai-je crié. Je suis prêt à te regarder, maintenant, espèce de putain de truc. Je sais ce que tu es et je suis prêt à te regarder bien en face. »


. L'auteur nous raconte-t-il juste une histoire du genre fantastique, ou veut-il y ajouter une interprétation métaphorique : une belle histoire où les mots, les peurs et les angoissent s'animent et deviennent des personnages à part entière qui dévorent littéralement tout sur leur passage ? Car tout prend tellement vie sous la plume de Steven HALL : Les idées, les concepts les plus f(l)ous s'agitent et vous hantent - Personnellement j'ai passé deux nuits de cauchemars à tenter, en vain, de fuir ce requin conceptuel, fait de mots, de non-dits et d'idées, qui me poursuivait ! L'auteur invente même un « texte vivant », qui prend vie quand vous le lisez…!
Alors vous rassemblez les symboles et cherchez les signes dans les récits… Car il y a plusieurs récits : ce que vit Eric se mêle aux bribes de récit sur la mort de Clio. En les croisant, un schéma se profile rapidement. Personnellement j'ai adoré ce fil rouge, qui permet de voir au delà du premier degré de lecture : Il explique ce qu'est en train de vivre Eric, et donne rapidement un sens plus profond à toute cette histoire.


« Vous avez tout à fait raison. Ce n'est qu'un tas de truc empilés, de belles choses très ordinaires. Mais l'idée que ces choses incarnent, la signification que nous leur avons donnée en les rassemblant, c'est cela qui est important. »


. La freudienne en moi - qui a durant un temps connu les sommeils comateux sous morphine où ce que vous voyez, entendez, ou avez vécu peu avant, vos pensées et réflexions, vos angoisses refoulées, deviennent des formes, des lieux et personnes se mouvant dans une histoire « abracadabrantesque », tentant bizarrement de vous faire passer un message de votre subconscient que votre conscience n'a pas encore pu gérer - y a immédiatement cherché une interprétation psychologique, fait des recoupements dans les récits pour trouver un sens bien plausible à toute cette folle aventure. Moi qui ne raffole pas de la littérature de l'imaginaire, je me suis attachée aux mots d'Eric, à ce que son subconscient et ces actes me disaient de lui, de ses peurs, de ses blessures encore béantes.


« Parfois, quand on somnole, les idées et les sentiments murmurent avec de toutes petites voix au fond de notre crâne. »


Est-on dans un simple roman d'aventure fantastique ? Dans le cerveau d'un malade ? Dans un conte métaphorique sur le langage ? Ou encore un remake modernisé du mythe d'Orphée et d'Eurydice, où Orphée ne peut sauver sa belle et la remonter des ténèbres (encore un mot indice dans le texte) à cause de son action ? Ou même d'un mélange de tout cela ? Orphée… Comme le bateau qui prendra corps sous les yeux d'Eric pour le mener vers la fin de son histoire.


N'étant a priori pas une fan de littérature fantastico-onirique, j'aurais pu mettre 4/5 à ce roman mais j'ajoute une demi étoile car l'intrication habile des genres (mythique, psychologique) m'a fait non seulement aimer, comprendre, mais aussi m'amuser à chercher le sens et l'issue de ce texte : J'ai adoré suivre la piste des indices semés par l'auteur dans ses textes (objet ou action, formulation, clins d'oeil - il joue aussi avec lui-même). Explorer le dédale de l'esprit humain.
Comme dans La Maison des feuilles, je m'attendais à ce que l'auteur nous laisse avec notre propre interprétation mais il a finalement pris la peine de nous offrir une très jolie fin, moins ouverte que Danielewski mais malicieuse… Une imbrication réussie de mythes, de psychologie, d'imaginaire, d'amour, et aussi de mise en page qui aide encore à l'immersion et à la compréhension du processus décrit par l'auteur. La mise en page, que j'avais trouvé sans intérêt dans Charognards, fait ici sens et sert la lecture, comme dans La Maison des feuilles. Même si j'avoue avoir laissé le personnage se débattre avec les passages codés qui me paraissaient complexes, l'auteur nous met en succès avec des détails parlant qui se recoupent dans les différents récits (j'ai beaucoup aimé le verre d'eau par exemple, la façon dont les idées poisseuses prenaient vie). C'est une lecture moins extraordinairement foisonnante que La Maison des feuilles : Elle peut donc souffrir de passer après cet OLNI. Pourtant, elle demeure une oeuvre à part entière d'une vraie originalité, intéressante pour le savant mélange des genres opéré par l'auteur.


Mais vous savez le plus dingue dans cette histoire ? C'est que même la partie « conceptuelle », où des idées s'animent et font entrer Eric dans un monde parallèle, j'y ai cru. Même si j'ai préféré la quête de sens à l'aventure imaginaire en elle-même, ça m'a paru imaginable, à moi la terre à terre ! Tout est palpable et on comprend bien l'idée de l'auteur, espérant que cette escapade conceptuelle permettra à Eric de trouver le temps, les mots et la force pour boucler la boucle de son destin. J'étais dans la tête d'Eric, j'ai vécu son amour et ses tourments, son vertige devant la peur du vide, le poids de cette culpabilité idiote qui le déséquilibre, et menace de le faire plonger à son tour dans les dents d'une mer pleine de dangers. Une histoire bien ficelée, qui fait son effet.
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