Citations sur La Moisson rouge (41)
Bon, maintenant, au boulot. Et n'allez pas vous imaginer que les lois, ça existe à Poisonville, à part celles que vous choisirez de respecter.
C'est très bien pour l'agence d'avoir des règles et d'appliquer des procédures, mais quand tu es en mission sur le terrain, tu dois faire au mieux avec les moyens du bord. Celui qui débarque à Poisonville avec des principes moraux risque de les voir rouiller très vite.
Mrs. Willson n'avait pas une folle envie de nous voir mais, en général, les gens reçoivent le chef de la police s'il insiste. Ce qu'il fit.
Un vieux bonhomme à l'aspect inoffensif, bomba le torse et nous raconta :
- Au début, c'était pas possible de rien faire. Y sont arrivés avant que personne s'est rendu compte de rien. Sûrement qu'ils auraient pu aller plus vite, même. Ils ont tout raflé, bien comme il faut. Pas une chance de rien faire, là. Mais moi, je me dis : " Profitez-en bien, les p'tits gars, c'est vous qu'avez le dessus, là, mais attendez un peu le moment que vous voudrez partir." Et j'ai tenu parole, vous pouvez me croire. J'ai couru après eux et j'ai canardé avec mon vieux flingue. Çui qu'est là, je l'ai descendu quand y grimpait dans la voiture. Vous pouvez me croire que j'en aurais dégommé plus si j'aurais eu plus de cartouches, parce que c'est pas facile de tirer d'en haut comme ça quand c'est que...
Noonan interrompit le monologue. Il lui appliqua des tapes d'encouragement dans le dos jusqu'à ce que ses poumons se vident tout en lui disant :
- C'est une excellente chose. Une excellente chose.
Elle se prononça pour le King George. Nous en bûmes un chacun, sec, et je dis :
- Assieds-toi et sers-t'en pendant que je me chante.
Quand je ressortis de la salle de bains, vingt-cinq minutes plus tard, elle était installée devant le secrétaire. Elle fumait une cigarette en étudiant un carnet où je notais diverses choses et que je rangeais dans une des poches latérales de mon sac de voyage. (...)
- Où as-tu été élevée ? Fouiller comme ça dans mes bagages !
- J'ai été élevée au couvent. Chaque année sans exception j'ai décroché le prix de conduite. J'étais persuadée que les filles qui rajoutaient une cuillerée de sucre dans leur chocolat allaient en enfer pour péché de gourmandise. Avant l'âge de dix-huit ans, je ne savais même pas que les jurons existaient. La première fois que j'en ai entendu un, j'ai failli tourner de l’œil, bon sang.
Elle cracha sur le tapis devant elle, fit basculer sa chaise en arrière, posa ses pieds croisés aux chevilles sur mon lit.
La ville n'était pas jolie. Ses bâtisseurs, pour la plupart, avaient choisi le tape-à-l’œil. Peut-être avec un certain succès au début. Le temps passant, les hauts fourneaux, dont les cheminées de brique se dressaient au sud, devant une montagne morne, avaient tout rendu uniformément crasseux en le recouvrant d'une suie jaunâtre. Le résultat était une ville laide de quarante mille habitants, nichée dans une gorge laide, entre deux montagnes laides entièrement souillées par l'exploitation de la mine. Tendu au-dessus de la ville, un ciel brouillé semblait monter des hauts fourneaux.
Ce gros lard de Noonan. Deux fois en deux jours, il a essayé de me liquider. Ça fait beaucoup. C'est à mon tour de le démolir et je ne vais pas m'en priver. Poisonville est mûre pour la moisson. C'est un boulot qui me plaît et je suis fin prêt.
- Vous êtes marié ?
- Ne remettez pas ça.
- Alors vous l'êtes ?
- Non.
- Votre femme ne connaît pas son bonheur.
- C'était juste un test... pour voir ce qui allait se passer.
- Alors c'est comme ça que vous travaillez, les détectives, avec vos méthodes modernes ! (...)
- Les plans, parfois, ça fonctionne. Et parfois, il suffit juste de remuer la fange... si on est assez coriace pour survivre, et si on est assez attentif pour repérer ce qu'on cherche quand ça affleure à la surface.
Je rentrai à mon hôtel et me plongeai dans une baignoire d'eau froide. Le bain froid me fouetta le sang. J'en avais besoin. À quarante ans, j'étais encore capable de remplacer le sommeil par le gin, mais non sans inconvénients.