— Wake up !
Rosaline sentit qu’on la poussait et ouvrit péniblement les yeux. Des muscles de son corps dont elle ne soupçonnait pas l’existence la lancèrent. Parbleu ! Combien de temps avait-elle dormi ? Il faisait presque jour à présent ! Son premier réflexe fut de tâtonner sur le sol pour retrouver la cigarette qu’elle avait éteinte cette nuit, afin de démarrer la journée selon son rituel. Sa main ne rencontra que le vide.
— Je vous ai dit de vous lever !
Elle reconnut à regret la voix désagréable qui s’adressait à elle, et ne put retenir un juron auquel un hoquet de stupeur so british fit écho.
— Vous ! Encore ! pesta-t-elle en ajustant ses jupes et lui lançant un regard haineux.
— And you, again ! Que faites-vous ici, Mademoiselle ? lui lança le lord, dont la peau avait pris une teinte rougeâtre due à la colère.
— Et pourquoi donc vous répondrais-je ? lui rétorqua Rose en avisant son bien qu’il tenait dans sa main. Avez-vous pour passe-temps de saccager les cigarettes d’autrui ? lui demanda-t-elle en s’emparant de son péché. Elle fouilla ses culottes et alluma enfin son Saint Graal en s’appuyant contre le mur.
Bien qu'agaçante, cette Rosaline était utile, et il pouvait rentrer chez sa logeuse en étant certain qu'aucun indice n'avait été oublié sur la scène de crime. Il devait s'avouer que même si leurs échanges étaient peu dignes d'un lord et une jeune femme, ils étaient revigorants et apportaient une petite touche de piment à son séjour parisien. Puis il se rappela qu'il aimait l'ordre, la propreté, la monotonie et le calme de son laboratoire et regretta cette faiblesse dans ses sentiments.
Alors, résigné, il vérifia dans le miroir ovale et moucheté accroché près de la porte que sa cravate pourpre en soie était toujours bien droite, maintenue en place par l'épingle rouge à tête en forme de rose qui ne le quittait jamais. Il tenta d'aplatir sa chevelure rebelle. C'était bien le seul élément de son apparence qui lui échappait et sur lequel il n'avait aucune emprise, ou si peu. Agacé, il remit son chapeau et sortit en redressant les épaules. Il n'était pas enthousiaste, or, un lord anglais n'expose pas ses émotions; il afficha donc un air parfaitement serein et imperturbable. Des années de pratique aidaient à feindre la plus totale indifférence, quoi qu'il se passât autour de lui. Il fit quelques pas dans le sordide couloir qui menait au rez-de-chaussée puis, il fit demi-tour. Il pénétra à nouveau dans sa chambre, déplaça le guéridon sur le sol inégal afin de le stabiliser et examina le résultat de cette rectification. Bien, il pouvait partir l'esprit tranquille car l'imperfection et la médiocrité l'exaspéraient plus encore que le fait de se retrouver à battre le pavé à la recherche d'un criminel dont il ignorait presque tout.
Elle entendit des pas derrière elle et se pressa. Elle savait se défendre mais il
ne faisait pas bon se promener seule à une heure aussi tardive dans les rues de
Montmartre. On ne savait jamais si on allait tomber sur un poète bohème qui
se contenterait de vous déclamer quelques vers, sous l’emprise de la fée verte
,ou si on se retrouverait face à un coquin des bas quartiers prêt à vous ôter la vie
pour votre bourse. La petite ruelle dallée lui était bien familière mais ce soir,
l’éclairage blafard et vétuste fonctionnant encore au gaz donnait une étrange
atmosphère aux lieux.
Sentant l’intrus s’approcher, elle fit volte-face.
— Ah, c’est toi ! s’exclama-t-elle, soulagée.
- Je crains que votre allumette n’ait eu un effet néfaste sur la situation …