Citations sur À ma fenêtre le matin : Carnets du rocher 1982-1987 (40)
N'oublie pas que ce qui est proche, le vert et les feuilles qui bougent, se trouve de l'autre côté du mur de la poitrine : ce mur fait de tous ces discours qu'on t'a tenus et de tes discours à toi.
L'enfant avait terminé et lut à haute voix ce qu'il avait écrit : «Comment je me figure une vie plus belle - J'aimerais qu'il ne fasse ni chaud ni froid. Il faut qu'il souffle toujours un vent tiède, parfois il y a une tempête contre laquelle il faut s'accroupir. Les autos ont disparu. Les maisons seraient rouges. Les buissons seraient de l'or. On saurait déjà tout et on n'aurait plus besoin de rien apprendre. On habiterait sur des îles. Dans les rues les voitures restent ouvertes et on peut s'y mettre quand on est fatigué. Mais on n'est plus fatigué du tout. Les voitures n'appartiennent à personne. Le soir on reste debout. On s'endort là où on est. Il ne pleut jamais. De tous les amis on en a quatre de chaque et les gens qu'on ne connaît pas disparaissent. Tout ce qu'on ne connaît pas disparaît.»
Le temps nous échappe. Le temps ne peut pas être joué. Le temps est réel. Il ne peut pas être joué comme une réalité. Puisque le temps ne peut être joué, la réalité ne peut être jouée. Cependant, si on joue en dehors du temps, il n'est pas nécessaire de jouer le temps. Cependant, si on joue en dehors du temps, le temps est sans signification.
Je ne pourrais pas dire qui je suis. Je n'en ai pas la moindre idée. Je suis quelqu'un sans origine, sans histoire, sans pays et j'y tiens. Je suis là, je suis libre, je peux tout m'imaginer. Tous est possible. Je n'ai qu'à lever les yeux et je redeviens le monde.
La littérature, c'est le langage devenu langage; la langue qui s'incarne. J'écris avec la respiration, pour découvrir le sacré, celui de la vie. Je crois être un romantique décidé, qui rend grâce à la mémoire.
S'il ne lisait pas, il ne voyait pas le jour dans le jour.
Etre si fatigué que lorsqu'on se voit par hasard dans la glace, on s'étonne d'être encore là.
Je suis si souvent douloureusement seul sur la scène de ma vie intérieure, et puis enfin il en arrive d'autres : toi et encore toi, parfois les peuples de la terre entière est sur ma scène, alors, nous ne jouons pas mais nous sommes simplement ensemble, et dans ma poitrine tout est chaud et vaste.
Il y a peu, j’étais sur le sommet de l’Untersberg, dans la neige. Juste au-dessus de moi une corneille flottait au vent, proche à la prendre de la main. Le jaune des serres plaquées contre le corps me parut être l’image même de l’oiseau ; le brun doré des ailes irisées de soleil ; le bleu du ciel. Ces trois éléments traçaient le sillage d’un vaste espace aérien qui, au même instant, me fit l’effet d’un drapeau tricolore.
Un drapeau qui ne prétendait à rien, un simple objet fait de couleurs. Mais grâce à lui les drapeaux d’étoffe qui jusqu’alors n’ont fait que boucher la vue sont devenus au moins quelque chose qu’on puisse regarder car leur origine pacifique se trouve dans mon imagination.
La seule chose qui pût vous sauver alors, parfois, c’était de regarder ce qui ne vous appartenait pas, et en particulier de lever les yeux vers le ciel. « Hé toi, le propriétaire, les yeux sans cesse baissés sur ton sol et tes terres : haut la tête, et haut les cœurs ! »