Citations sur Le paradis blanc (95)
- Bon de toute façon, vous n'êtes pas les premiers cheechakos à débarquer ici avec un rêve mais aucune préparation.
- Des cheechakos ? questionna Leni.
- Des pieds-tendres. Ce qui compte en Alaska,ce n'est pas qui vous étiez quand vous y êtes venus. C'est qui vous êtes devenus. Vous êtes dans une région sauvage ici, les filles. Il ne s'agit pas d'une fable ou d'un conte de fées. C'est la réalité. Une réalité dure. L'hiver va bientôt arriver et, croyez-moi, il ne ressemble à aucun hiver que vous avez connu. Il va éliminer les faibles, et rapidement. Vous devez savoir comment survivre. Vous devez savoir tirer et tuer pour vous nourrir, et vous protéger du danger. Vous n'êtes pas au sommet de la chaîne alimentaire ici.
- Vous essayez de nous effrayer ? demanda Maman.
- Et comment ? Avoir peur, c'est du bon sens ici. Beaucoup de gens viennent ici, Cora, avec des appareils photo et le rêve d'une vie plus simple. Mais cinq Alaskains sur mille disparaissent chaque année. Ils disparaissent, tout simplement. Et la plupart des utopistes...eh bien, ils craquent le premier hiver. Ils s'empressent de retourner au pays des drive-in et du chauffage qui s'allume en tournant un bouton. Et du soleil.
Il y a une chose que tous les enfants de prisonniers de guerre savaient : à quel point les gens pouvaient facilement être démolis.
Une mère était comme le fil d'un cerf-volant. Si elle ne vous retenait pas fermement, solidement, on pouvait bien s'envoler dans les airs et se perdre dans les nuages.
La peur, apprenait Leni, n'était pas le petit placard obscur qu'elle avait toujours imaginé: des murs oporessants, un plafond contre lequel on se cognait la tête, un sol froid au toucher.
Non.
La peur était une grande maison composée d'une enfilade de pièces reliées par des couloirs sans fin.
Dans les jours qui suivirent la fermeture du portail, avec sa chaîne en métal, Leni découvrit la sensation que procuraient ces pièces.
" Avoir peur c'est du bon sens ici "
Ils étaient pris au piège, par leur environnement et par les finances, mais surtout par l'amour tordu et malsain qui unissait ses parents. [...] Maman ne pourrait jamais quitter papa, et Leni n'abandonnerait jamais maman. Et papa ne les laisserait jamais partir. Dans cet horrible nœud destructeur qu'était sa famille, aucun d'eux ne pouvait s'échapper.
La nuit, dans ces contrées, le ciel paraissait infini et jamais tout à fait noir, il restait d'un profond bleu velouté. Le monde qu'il dominait semblait insignifiant : la lueur d'un feu, le reflet blanc ondulé de la lune sur les vagues ternes.
L'hiver avait ici une extrême importance. Leni l'avait appris. Ici, les gens faisaient constamment allusion à l'arrivée du froid. Même quand on allait pêcher par une belle journée d'été, c'était pour prendre du poisson pour l'hiver. On pouvait s'amuser, mais il s'agissait d'une affaire sérieuse. Leur survie, semblait-il, pouvait se jouer sur le moindre détail.
Les journées interminables remontaient l'horloge interne de Leni et lui donnaient le sentiment d'être déphasée par rapport à l'univers, comme si même le temps - la seule chose à laquelle on pouvait se fier - était différent en Alaska. Il faisait jour quand elle se couchait, et jour encore quand elle se réveillait.