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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quand la réalité dépasse la fiction! Jugez vous-même:

Le bon roi du Danemark a décidé de laisser une trace dans l'histoire en élargissant les connaissances de l'humanité! Quoi de mieux que d'organiser une expédition chargée de cartographier les régions bibliques. Elle devra aller jusqu'en "Arabie heureuse" (Yémen) pour découvrir les mystères de l'encens. Elle devra en outre vérifier si l'on peut traverser la mer rouge à pied et trouver dans le Sinaï des traces des Dix commandements écrits par la main même de Dieu. Un botaniste devra aussi établir un herbier des espèces végétales vivant dans la région.

Mais ces nobles ambitions vont se heurter aux plus bas instincts humains.

Un noble s'est empressé d'accepter la charge de cette expédition pour se faire bien voir du Roi. Mais il n'a, en réalité, aucune envie d'aller pérégriner si loin de la civilisation. Il fait donc trainer les préparatifs en longueur et cela d'autant plus qu'il est grassement payé pendant tout ce temps. Il décrète qu'il lui faut apprendre l'arabe et qu'il doit aller jusqu'à Rome pour cela (alors que personne ne parle arabe dans cette ville!). Il mettra deux ans à faire le voyage Copenhague-Rome en faisant la fête à chaque étape. Tout cela financé généreusement par le trésor royal.

Le roi commence à s'agacer de ne pas voir son grand dessein se réaliser et met un petit peu la pression sur tout ce beau monde. Il choisit un nouveau chef d'expédition: un cartographe taciturne et sans charisme mais très efficace pour l'organisation concrète du voyage. Son autorité sera vite contestée et sera source de tensions qui aboutiront à la mort de plusieurs participants.

Il faut maintenant choisir un botaniste. Il faut naturellement que ce soit le meilleur. Mais le meilleur n'est pas Danois mais Suédois. Les nationalistes sont froissés mais finissent par accepter ce disciple du grand Linné. Seulement l'homme a ses exigences. Il veut faire un détour par l'Afrique du Sud pour ramener un spécimen de plante rare à son maître en Suède. Après d'âpres négociations il finit par convenir que la route d'Afrique du sud n'est pas la plus directe pour se rendre en péninsule Arabique.

Tout ce beau monde se met en route pour un voyage mouvementé. Tempêtes, maladies, tentatives d'assassinat entre amis...

Cette expédition laissera néanmoins sa trace dans l'histoire. Ils seront les premiers européens à mesurer les Pyramides du Caire et à établir une carte de cette "Terra Incognita".

Thorkild Hansen est un historien qui a l'art de nous mettre dans la tête des protagonistes de l'époque. Tous les faits racontés sont rigoureusement exacts et le livre se dévore comme un roman psychologique. Car c'est bien de notre époque que nous parle l'auteur à travers ces personnages d'un autre temps. En pointant les singularités de cette période il nous montre comme nous avons changé. Les hommes politiques du passé se souciaient de la trace qu'ils laisseraient à la postérité et cela dictait leur conduite. Aujourd'hui nos hommes politiques ne se préoccupent que de la prochaine élection. A contrario il nous montre aussi ce qui est resté intemporel: l'ambition, le nationalisme, la médiocrité, le goût de l'argent...

Un grand livre!
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Nous sommes au 18è, siècle des Lumières et des voyages d'exploration. Un groupe de scientifiques s'embarque au Danemark pour le Yémen, appelé à l'époque “Arabie Heureuse”, terre d'où provient l'encens.
L'auteur, Thorkild Hansen, s'appuie sur les comptes-rendus authentiques de cette expédition pour en relater les péripéties. Mais il y ajoute sa vision toute personnelle en s'interrogeant : que va-t-on chercher dans ces territoires lointains ? Pourquoi “l'Arabie heureuse” fait-elle rêver ? Pourquoi l'expédition tourne-t-elle à l'échec ? Car c'est le cas : le groupe est décimé, le travail gâché, les collections perdues...
Pourtant, une personnalité émerge de ce désastre : le géographe Carsten Niebuhr, armé de ses instruments de mesure et de sa rigueur morale, poursuit seul le voyage et mène à bien ses travaux. Au contraire de ses collègues infatués, ce sobre et modeste technicien se fond dans le paysage, dans la population, dans la culture locale... et il sera le seul à revenir de cette épopée. Un personnage inoubliable dont le parcours donne toute sa dimension à ce livre, davantage oeuvre philosophique que roman.
Traduction absolument parfaite de Raymond Albeck.
LC thématique de juillet 2021 : ''En voyage''
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Quel livre ! Je le dois encore une fois à Domi­nique. Que sa curio­sité insa­tiable soit mille fois remer­ciée ! Sans son blog ce livre ne serait pas parvenu jusqu'à moi puisque ma média­thèque ne possède pas encore (depuis j'ai convaincu les biblio­thé­caires de l'acheter) ce « chef d'oeuvre », comme le dit la quatrième de couver­ture. Et je suis entiè­re­ment d'accord, c'est un petit chef d'oeuvre. Thor­kild Hansen, décrit avec une préci­sion extra­or­di­naire, tant sur le plan tech­nique qu'humain, une expé­di­tion qui part du Dane­mark en 1761, pour faire connaître au monde un pays alors inviolé : « L'Arabie Heureuse ». Un roi danois Frédéric V, soutenu par un ministre, Berns­torff, parti­cu­liè­re­ment gagné à l'esprit des lumières, mobi­lise des sommes impor­tantes pour financer une expé­di­tion auda­cieuse. Il s'agit de rassem­bler des savants les plus pointus de l'époque pour décou­vrir une partie de la planète où aucun occi­dental n'était encore allé.

D'abord, il s'agit de comprendre ce nom : pour­quoi s'appelle-t-elle « Heureuse » cette Arabie ? Qui sont les peuples qui la compo­sent ? Pour cela, il faut un savant linguiste , ce sera un Danois von Haven. Pour comprendre la géologie et les plantes, on fera appel un savant suédois Peter Forsskal, un médecin physi­cien danois le docteur Kramer pour soigner les membres de l'équipe , un peintre graveur Bauren­feind pour ramener les illus­tra­tions de tout ce qui sera décou­vert et un arpen­teur d'origine alle­mande, Carsten Niebuhr, le moins titré des cinq hommes. Tous ces gens ont beau­coup écrit, envoyé de longs rapports sur leur voyage (sauf le docteur Kramer). Torkild Hansen, les a tous lus et pour certains de ces écrits, il en était le premier lecteur.

Son récit nous faire revivre de l'intérieur cette incroyable épopée qui a failli être un des plus grands fiascos de tous les temps. Pour une raison que l'on sait dès le début du livre van Haven et Forsskal se haïs­saient, et malheu­reu­se­ment Berns­torff n'a pas su anti­ciper les consé­quences de cette haine impla­cable. Il aurait au moins fallu dési­gner un chef, mais non, on leur demande à tous de s'entendre ce qu'ils sont tota­le­ment inca­pa­bles de faire. La raison en est sans doute que l'éminent profes­seur danois von Haven, déce­vait beau­coup son employeur qui n'osait pas l'avouer. Sur le terrain la mollesse d'esprit et de corps de von Haven le discré­di­tera tota­le­ment, au profit du coura­geux, éner­gique mais colé­reux Forsskal.

La malaria empor­tera dans la mort ces deux hommes, le premier n'aura rien décou­vert d'important, se plai­gnant à longueur de rapports de l'inconfort et de l'insécurité. le second au contraire a réussi à envoyer de multi­ples rapports, de nombreuses caisses de plantes, d'animaux empaillés, ou conservés dans l'alcool , de semences, de plantes séchées. Tout cela parfai­te­ment décrit dans de mult ouvrages. Malheu­reu­se­ment, rien ou presque de son fabu­leux travail n'a été exploité. Pour­quoi ? Il était suédois et le roi du Dane­mark n'avait guère envie que la Suède s'attribue le succès d'une expé­di­tion qu'elle avait financée. Forsskal est un élève de Linné qui est déjà un savant reconnu mais suédois, les consé­quences de ce natio­na­lisme absurde c'est que von Haven n'a rien décou­vert par paresse et que les extra­or­di­naires décou­vertes de Forsskal ont été complè­te­ment négli­gées ou presque.

Il ne reste donc rien de cette expé­di­tion qui dura 7 ans ? et bien si ! le seul person­nage peu titré était cet arpen­teur d'origine alle­mande : Carsten Niebhur qui a toujours refusé le moindre titre hono­ri­fique, il est le seul à revenir vivant de cette extra­or­di­naire épopée et il a fourni au monde, pour plusieurs siècles, des cartes exactes de cette région du monde. Même s'il a donné le nom correct à l'Arabie « Heureuse » : le Yemen , il n'a pas trouvé pour­quoi on l'avait si long­temps appelé Heureuse. La réponse est dans le livre, à vous de l'y trouver…

C'est peu de dire que j'ai lu avec passion ce voyage abso­lu­ment extra­or­di­naire, ne m'agaçant même plus d'un procédé qui d'habitude me gêne beau­coup : l'auteur nous annonce souvent les événe­ments impor­tants à venir. Je préfère toujours décou­vrir les diffé­rentes péri­pé­ties au cours de ma lecture sans effet d'annonce. Quand j'ai réalisé que l'énorme travail de Forsskal, d'une qualité remar­quable allait être réduit à néant par la stupi­dité et la mesqui­nerie humaine, j'ai alors lu ce livre comme un thriller, je n'arrivais pas à le croire ! Si je dois encore vous donner une raison supplé­men­taire pour vous plonger dans ce voyage, lisez-​le simple­ment pour décou­vrir une des plus belles person­na­lité que les livres m'ont permis de connaître : celle d'un arpen­teur qui avec téna­cité et intel­li­gence a permis de faire de cette expé­di­tion une superbe réus­site. Une person­na­lité de cet acabit : modeste, honnête, humaine, altruiste, coura­geuse, sans préjugé … bref, à lui seul, il mérite un collier entier de coquillages !
Lien : http://luocine.fr/?p=6702
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Fabuleux récit de voyage ou la réalité dépasse la fiction... Histoire de voyages, de découvertes, mais aussi, (surtout ?) une aventure humaine remarquablement racontée par Hansen (du même auteur, on pourra dévorer aussi son Jens Munk ) Un livre incontournable pour tous les passionnés de récits de voyage.: ce livre vous transportera !
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Un Roman historique
Avec La mort en Arabie, Torkild Hansen écrit un livre magnifique et prenant, roman historique comme le révèle sous-titre Une expédition danoise 1761_1767,
La Mort en Arabie commence par la vision d'une barque sortant de la rade de Copenhague le 4 Janvier 1761 et transportant cinq hommes vers un vaisseau de ligne le Gronland. C'est le départ d'un voyage d'études commandité par le roi du Danemark Frédérick V, en direction de l'Arabie Heureuse. Nous apprendrons que le pays ainsi nommé est le Yemen alors terre inconnue et quelle est l'origine de ce nom. L'on ne peut que constater, en regard de ce qui est arrivé aux membres de l'expédition, l'ironie tragique de cette appellation puisque quatre d'entre eux ne reviendront pas.
Un retour en arrière nous permet de voir les préparatifs et les buts de l'expédition et faire connaissance de ses membres. Deux sont danois, deux allemands et le cinquième suédois.
Frédéric Christian von Haven est philologue : il est attiré par l'argent mais espère que l'expédition ne partira jamais; on s'apercevra bien vite qu'il se révèle incompétent, veule et paresseux. Il n'accomplira jamais ce que l'on attend de lui. Non seulement il ne servira pas l'expédition mais on peut dire qu'il introduit la dissension dans le groupe.
Peter Forsskal, suédois, physicien et botaniste : ses prétentions, la haute opinion qu'il a de lui-même, le rendent antipathique mais il est réellement compétent et même brillant. C'est un bourreau de travail.
Carsten Nieburhr mathématicien et astronome allemand : d'origine modeste, il n'est pas professeur comme les précédents et est en grande partie autodidacte. Travailleur consciencieux et scrupuleux, passionné par son métier, curieux de tout, il dresse des cartes des pays qui ont fait autorité pendant les siècles qui vont suivre.
Christian Carl Kramer, médecin et astronome est un personnage sans envergure, assez falot, qui n'apportera pas grand chose à l'expédition.
Georg Wilhelm Bahrenfeld, peintre et graveur a exécuté des dessins très précis de lieux archéologiques et des scènes croquant la population.

La mission a pour but d'identifier la faune et la flore citées dans la Bible, élaborer une carte topographique du Yemen, comprendre le cycle des marées lors de l'Exode des Hébreux et analyser les modes de vie des Arabes et des Juifs. Elle durera sept ans et Frédéric V mourra entre temps.
L'expédition gagnera le Yemen en passant par Marseille, Constantinople, l'Egypte, la mer Rouge avant d'arriver à Mocha, Sanaa et le seul survivant reviendra au Danemark via la Perse, après avoir fait une escale en Inde.

Des personnages romanesques

Le récit de l'expédition est d'abord une étude psychologique qui faite revivre des personnes qui ont réellement existé comme s'il s'agissait de héros romanesques tout en s'appuyant sur une analyse poussée de leurs motivations, leur caractère, leurs faiblesses et leurs qualités à partir de documents, de lettres, de témoignages, et de leurs journaux. Nous éprouvons donc de l'antipathie pour certains ou, au contraire, et nous nous attachons à certains d'entre eux. Carsten Nieburhr, en particulier, est une beau personnage. Quant à ses aventures, elles sont dignes de la fiction la plus folle, il va même disparaître pendant six mois, se fondre dans le paysage, adopter les vêtements, les coutumes, la langue des autochtones, changer de nom pour survivre dans ces contrées.
Avec ce voyage en Arabie nous explorons toutes les facettes des travers humains, lâcheté, couardise, orgueil, soif du pouvoir, cupidité, colère, jalousie, paresse mais aussi la capacité de certains hommes à transcender l'impossible, courage et détermination, soif de savoir, curiosité intellectuelle, intelligence et ingéniosité, attachement au devoir et à l'honneur.

Récit d'aventures et recherche scientifique

Nous lisons et ce n'est pas le moins passionnant, un roman d'aventures plein d'aléas et de dangers. En mer Méditerranée le navire est sur le point d'être arraisonné par des bateaux anglais, ils évitent de justesse le combat ; plus tard, les savants se rendent compte que la cargaison transportée est humaine, ce sont des femmes qui vont être vendues dans les sérails égyptiens, une idylle naît entre Niebuhr et l'une de ces jeunes prisonnières comme dans un roman de Pierre Loti ! A Alexandrie ils sont pris à partie par la population qui voit dans l'astrolabe de Niebuhr un instrument de destruction,plus loin des voleurs sont lynchés devant eux par la foule en furie. Parfois la réalité semble dépasser l'imagination, von Haven les menace d'empoisonnement à l'arsenic. Ils remontent le Nil, parviennent au Caire, traversent le désert avec une caravane en direction de Suez. Ce n'est qu'au prix de bien d'efforts et de peines, la maladie s'abat sur eux, la mort s'invite, qu'ils parviendront en Arabie Heureuse ou leurs souffrances ne feront que s'accentuer et où la mort s'abattra!
Et pendant tout ce voyage les infatigables Niebuhr et Forsskal ne s'arrêtent que terrassés par la maladie. Niebuhr cartographie avec une rare précision les pays qu'il traverse, mesure la hauteur des pyramides, note les coutumes des populations comme un vrai ethnologue, étudie et recopie les hiéroglyphes, témoignages des vestiges archéologiques :

Jour après jour, il recueille de nouvelles pièces pour ce grand jeu de construction qui deviendra enfin la carte du Yemen, un travail de pionnier qui, pendant plus d'un siècle, sera la base de toutes les explorations européennes de ce lointain pays.

tandis que Forskall part à la recherche d'arbres et de fleurs rares, constitue d'immenses collections, étudie les animaux, analyse les marées de la mer Rouge, cherche à comprendre des phénomènes physiques comme la luminescence des algues. Il est en relation avec diverses universités européennes et fait parvenir des collections de plantes au Danemark. Cette quête scientifique nous permet donc de découvrir de nombreux pays tels qu'ils étaient au XVIII siècle.

Une réflexion philosophique

Le roman est aussi une réflexion philosophique car le voyage se révèle vite être une marche vers la mort puisqu'un seul des cinq explorateurs reviendra du voyage. L'échec de l'expédition rend d'autant plus tragique le destin de ces hommes. En effet, si Niebruhr qui ne cherchait ni les honneurs ni la richesse a eu la satisfaction de voir son travail reconnu, Pehr Forskall dont on peu dire que sa vie était dévouée à la science jusqu'à sa fin n'a pas eu cette chance. Les immenses collections expédiées tout au long de sa mission finiront par pourrir dans des caisses au fond d'un musée, réduisant à néant des années de travail acharné. Quant aux dessins de Bahrenfeld, ils ont brûlé dans un incendie. Il y aurait dans cette fatalité qui s'est attachée à ces hommes et dans l'absurdité de leur mort in utile de quoi désespérer et effectivement l'on se sent le coeur étreint.

Pourtant il y a une grandeur dans ces hommes qui force l'admiration et qui fait naître l'espérance. C'est ce que note Thorkild Hansen. Au milieu de la préparation affolée d'un combat naval, des canons pointés sur son navire, Carsten Niebuhr observe la course de Vénus devant le soleil :

Si le monde subsiste encore, l'une des causes en est peut-être qu'il se présente toujours même dans les moments les plus dramatiques quelqu'un qui dirige impassiblement son regard d'un autre côté… Sur quelques signes tracés dans le sable… Sur quelques pignons de la ville de Delft… Ainsi, à bord d'un bateau où les canons s'apprêtent à délivrer leurs arguments de vie et de mort, un homme se plonge tout entier dans l'observation du passage de Vénus. Comment ne pas trouver dans cette image une sorte de consolation ? Nous qui cherchons à suivre Niebuhr et ses compagnons dans une histoire vieille de deux siècles, alors que des rampes de lancement sont prêtes à tirer bien d'autres projectiles. Nous aussi nous voulons observer ces évènements lointains avec autant d'exactitude que possible, mais la main tenant l'astrolabe tremble un peu….

Thorkild Hansen se révèle un grand écrivain en portant le récit historique d'une expédition scientifique au niveau du mythe. Son livre est pour moi un coup de coeur.

Lien : https://claudialucia-malibra..
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Il y a ce voyage, vers 1760, à l'initiative du bon roi Frederik V du Danemark, imaginé pour étudier l'Arabie heureuse, collecter des manuscrits bibliques et multiplier les observations savantes. L'époque est à la course aux découvertes, comme aujourd'hui à la Lune ou à Mars. Politique de prestige autant que curiosité scientifique. Manière de dorer le blason des monarchies autoritaires. L'expédition est composée d'un brelan de savants hétérogènes, qui n'auront de cesse de se disputer, sans souci de la réussite du projet. Curieusement, la royauté a omis de désigner un chef ! L'exercice de la démocratie, en ces temps-là, est malaisé. Ils y laisseront tous leur peau, vaincus par la malaria plutôt que par leurs dissensions, à l'exception d'un seul, Carsten Niebuhr, qui fera à son retour le récit complet de l'aventure.

Et l'aventure vaut le détour. Partie en bateau, l'expédition se poursuit par des moyens de fortune à travers la Méditerranée, le Yémen, jusqu'à l'Inde, pour finir par un retour à cheval du survivant jusqu'à l'Europe du Nord. Étonnante et tragique épopée !
L'écrivain danois Thorkild Hansen en fait un récit à la fois scrupuleux et romancé. Il s'appuie sur les documents de l'époque pour reconstituer le puzzle et les états d'âme des uns et des autres, contrastés à souhait : le philologue von Haven est égoïste ambitieux désinvolte et lâche ; le botaniste suédois Peter Forsskål est un hyperactif au verbe haut et aux idées libérales bien ancrées ; le médecin Kramer est un peu paresseux et le peintre Baurenfeind, effacé ; le lieutenant-ingénieur Niebuhr, autodidacte, modeste et compétent, est l'élément positif du groupe. Il y a de l'électricité dans l'air (p. 87) entre tous ces personnages et même des soupçons d'arsenic dans les aliments. Coc des cultures, des formations, des origines sociales, des nationalités -l'un d'entre eux est Suédois-. Tout cela fait la tension du récit, mené avec maestria par l'auteur.
On tremble lors de l'attaque du navire de guerre le Gronland, qui transporte l'expédition, par la flotte anglaise près de Malte, tandis que Niebuhr observe, imperturbable, dans le roulis et le branle-bas de combat, le passage de Vénus. On rit lorsque l'image inversée de l'astrolabe bouleverse les autorités locales qui soupçonnent l'explorateur de vouloir mettre l'Arabie "sens dessus-dessous" et de dévoiler les femmes en les mettant la tête en bas et les pieds en l'air ! Il n'empêche que l'astrolabe, maniée avec virtuosité permet de mesurer pour la première fois avec précision la hauteur des pyramides et à dresser la première carte de l'Arabie et de la Mer Rouge. Les navires utilisés sont minutieusement décrits (p. 134-135) qu'il s'agisse des "dhows" (boutres) ou des barques "tarrad" (construites selon la technique du cousu-main -p.230-). L'expédition aura découvert des merveilles (de l'étourneau rosalin (p. 93) au baumier de la Mecque (p. 258). Mais l'essentiel des précieuses collections de Forksall sont détruites ou arrivent avariés. Pourtant ce sont les relevés minutieux de Niebuhr qui aideront à déchiffrer l'écriture cunéiforme.
Carte de l'Arabie dressée par Niebuhr

Comme une basse continue, revient, dans le roman de Hansen, l'interrogation lancinante sur le sens de l'expression "Arabie heureuse" (Ευδαίμων Αραβία), déclinée sur tous les tons. Comme Saint-Just attend de la Révolution "la perfection du bonheur", l'explorateur se rend vers l'Orient mythique, sur les pas d'Alexandre le Grand à la recherche du Graal du désert. Il croit l'y trouver dans la splendeur de quelque oasis et l'exquise hospitalité de tribus bédouine. Mais il se heurte le plus souvent à la fourberie, l'avarice, la rapine, et le soupçon des population locales, dans l'étouffoir des vents de sable et d'un soleil torride. le caractère heureux de cette Arabie mythique n'est peut-être au total qu'une mauvaise traduction de l'adjectif : Arabie "du Sud", ou bien Arabie "fertile" ? Ou encore cette révélation dérangeante de simplicité et de vérité, que "dans le désert, on ne peut définir la vie que par la pauvreté" (p. 248).

Fort de cette constatation, rentré de son périple, Niebuhr accepte l'emploi obscur de greffier à Meldorf, où il s'occupe modestement du cadastre, arpentant les polders en contemplant la nature et les étoiles. "Heureux qui comme Ulysse..."
Lien : https://diacritiques.blogspo..
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En 1761, cinq hommes quittent Copenhague, destination le Yémen. Ces savants doivent, chacun dans son domaine, faire briller le nom du Danemark et de son roi, qui n'a pas lésiné sur les moyens pour monter cette expédition qui, on le sait d'emblée, sera un échec cuisant et causera la mort de 4 des hommes. A partir des témoignages conservés, Thorkild Hansen nous offre un texte éblouissant, il sonde les rêves, les espoirs et la mesquinerie des hommes, qui n'ont guère changé depuis le XVIIIème siècle. le récit se lit comme un roman d'aventure, mais il offre des portraits extrêmement fouillés de personnages qui ont réellement existé pour comprendre leurs motivations.
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