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Citations sur Comme nous existons (25)

Et jamais je ne sus l’aimer, cette mère, sans cacher au creux de cette dévorante passion une demande de pardon. Inclination née de ce que j’observais chaque jour : cette lutte pour que je sois assurée, rassurée, dans ce monde, d’avoir, quelque part, une place. Une lutte menée en mon nom – c’est pour toi que je fais cela – sans plainte ni regret. Anonyme, cette lutte, tapie dans l’ombre des vies parentales postcoloniales, une lutte dont j’étais à la fois l’objet, le sujet et le témoin.
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Ça n'avait pas de valeur. Je veux dire : ce n'était pas de l'argent. Ça n'achetait rien, écrire. C'était inutile et, plus encore, c'était improductif. Car comment prendre le temps d'écrire quand Hania et Mohamed, eux, manquaient de temps pour dormir, manger, se soigner ? Écrire pour écrire était haïssable. Mais écrire pour publier m'apparut d'un tout autre ordre. Cela ouvrait vers un dehors, offrait une issue, cela créait quelque chose. Un objet, un livre, que nous pouvions toucher de nos mains. Un objet réel, tangible, une marchandise déterminée par un prix fixe. Nous pouvions tous y gagner, j'imaginais.
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A chaque question qui leur était posée, Hania et Mohamed répondaient d'une même voix : oui, tout va pour le mieux.

Par ces quelques mots, ils jetaient un voile pudique sur leur vie. En vérité, mes parents mentaient. Tout était recouvert par le mensonge. Ils mentaient si sincèrement. La sincérité des innocents qui, mentant, luttaient pour conserver le sens d'une vie, le sens sans lequel cette vie se serait écroulée sur ses illusoires fondations. Alors ils mentaient aux cousins, aux cousines, aux tantes, aux oncles.

Oui, vraiment, tout va pour le mieux.
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Ce que me faisait Khadija, à cette période-là, j'avais onze, douze ans, elle m'initiait à ce contre quoi Hania et Mohamed, pour leur bien plus que pour le mien, ne cessaient de me mettre en garde : parler, répondre, lutter. Quelque chose d'une peur d'exister traversait leur existence et guettait la mienne, menaçait de l'imprégner au point de ne plus distinguer la vie de la politesse, la gentillesse de l'obéissance aveugle, l'affirmation de soi de la discrétion. Et je ne peux que trop me souvenir de mon amie qui, elle, protestait à tout-va - dans ce pays, il faut ouvrir la bouche, disait-elle, ou sinon c'en est fini -, vaillante et entêtée qu'elle était, ne reculant devant aucun camarade de classe, aucun adulte, prête, toujours, à jeter ses affaires sur le côté, à se mêler à la bagarre, et peu importe la suite - les réprimandes, les punitions, les exclusions temporaires.
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J’aurais voulu lui parler, lui dire que ces garçons, je les côtoyais, je jouais avec eux, je les aimais bien. Lui dire, aussi, que ce que conseillaient ces gens – m’éloigner de mon monde et des miens – trahissait, au vrai, la haine. Leur haine. Leur haine des garçons arabes, des arabes tout court, et que c’était de ces gens qu’il fallait se méfier. Au fond d’elle, je sais que Hania le savait. Jamais, au vrai, elle n’avait été dupe de ces gens qui, parlant des nôtres – ne laissez pas votre fille fréquenter ces jeunes –, nous révélaient, sans le vouloir ni même le savoir, ce qu’ils pensaient de nous. Mais je vous l’ai dit : Hania avait peur. Je le comprenais à ses yeux qui s’allumaient et s’éteignaient en un même regard. Telle était son expérience de mère arabe, dans ce pays. Une expérience de la peur, et cela d’autant plus fortement à l’approche de moments où une décision relative à mon avenir devait être prise.
p. 28
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Adressés à ma petite arabe qui doit connaître son histoire
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Je regrette d'avoir rejeté les révoltes de cet homme pour mieux rejeter cette idée qui m'était, à l'époque, insupportable, l'idée que j'étais la fille d'un travailleur malheureux. Je regrette de nous avoir, ainsi, abandonnés au bord du silence. De ne pas avoir su nous accueillir tels que nous étions, égarés, chacun à notre manière, dans le tumulte ordinaire des vies dominées.
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Je fus alors portée à croire, dans ma jeunesse, que la théorie avait le pouvoir des baisers, des plantes et des prières, je veux parler de ce pouvoir de guérir et de transformer. Et plus j'aurais maîtrisé, j'imaginais, cette science de l'abstraction, plus nous serions allés en nous affirmant, arrachés pour toujours et collectivement à l'arbitraire des vies dominées, sans rien vouloir dominer à notre tour, nous tenant simplement sous le bon drapeau, nous donnant nos propres lois, nous libérant.
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Plus tard, de cette joie, je parlerais à des amis, à des professeurs, à des collègues qui s'empresseraient alors de me dire que les grands auteurs offrent cela : la possibilité d'une présence. Et plus encore : l'assurance d'une représentation. Mais tous se trompaient de croire que j'avais pu me réjouir de si peu, d'une reconnaissance, moi qui aimais déjà mes parents et ne ressentais guère le besoin qu'ils soient reconnus - et par qui ? Non, ce que m'offrit Abdelmalek Sayad fut bien plus grand, total. Ce fut la possibilité de lire sous sa plume un horizon plus vaste que l'absence de mépris, plus riche que la promesse d'un titre, d'un statut, d'une fonction, d'une place, ce fut entrapercevoir la possibilité dune autonomie, libres que nous aurions été, Hania, Mohamed et moi, et bien d'autres encore, de rompre avec la politesse et de détruire tous les masques, toutes les dissimulations et toutes leurs sources.
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Ce jour-là, une photographie aurait dû être prise qui aurait exprimé, à elle seule, bien plus que tout ce que j’écris ici, en toute sincérité. Vous me verriez alors debout sur le pas de la porte de l’appartement parental, un sac sur le dos, une valise neuve à la main. Et vous verriez Hania, se tenant sur le seuil de sa cuisine, légèrement penchée vers l’avant, les mains plongées dans son tablier, et Mohamed, sur le seuil de son salon, les mains dans le dos, très droit, la tête haute. Je le redis : une photographie aurait dû être prise pour fixer, ne jamais perdre cette scène de noter existence. Ce tableau.
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