La talentueuse
Kaoutar Harchi, la belle et élégante dame, par son style d'écriture bien particulier et envoutant, ne m'a jamais laissé indifférent à ses trois beaux romans.
Et je n'en sors jamais indemne, ceux-ci me laissant toujours une griffure.
Et même si les âpres récits de Kaoutar, restent centrés sur le thème de la détresse humaine, ils sont toujours excellemment bien écrits, par une plume fluide et poétique. Mais surtout c'est la profondeur des personnages qui me donnent souvent le vertige.
« L'ampleur du saccage », est encore un roman particulièrement tortueux, à l'atmosphère superbement pesante et désespérante.
Kaoutar Harchi m'a happé une fois de plus, par son histoire larmée de tristesse.
L'auteure s'est glissée dans chaque personnage dont elle fait un portrait tragique.
Des êtres tous démolis, fracassés, bousillés par la vie, à l'image d'Areski.
Areski, un jeune orphelin de trente ans, muré dans sa tour de béton grise et vide, quelque part dans Paris. Avec sa solitude qui l'étouffe, sa misère qu'il crache sans pouvoir s'en défaire, et surtout l'ombre du visage de sa mère inconnue qui le hante.
Il y a aussi Si Larbi, un chauffeur, lui aussi déjà usé par la vie. C'est lui qui loge et veille comme un père, comme un frère depuis très longtemps sur Areski.
Si Larbi, rongé par un énorme secret qui le lie au jeune homme et qu'il ne peut pas lui confier.
Si Larbi avec des souvenirs d'enfance en lambeaux, de Nour sa mère, une prostituée d'Alger qui ne s'occupait pas de lui et que tous les hommes convoitaient, désiraient.
S'en suit Riddah, sans père ni mère, aujourd'hui directeur de prison. Un ami d'enfance de Si Larbi dont il partage aussi de lourds secrets. Riddah qui fuira, il a trente ans Alger avec son ami, en laissant derrière lui des vies s'effriter.
Puis il y a Ryeb, issu lui aussi de travailleurs pauvres algériens, débarqués en France dans les années 50. Un veilleur de nuit, qui est lui aussi hanté par le souvenir de sa mère, la Folle, la cancéreuse. Ryeb avec la peur effroyable que ce mal vienne aussi le détruire.
Ces quatre hommes, tous liés à jamais dans leurs souffrances, dans leurs regrets, dans leur culpabilité et surtout pour certains dans des secrets glauques qu'ils voudraient oubliés. Ces secrets si pesants qu'ils imprègnent leur rêve, leur âme et leur peau
Quatre hommes qui affronteront les ruines de leur passé.
Il y aura un premier drame, infâme.
Une ruelle sombre et humide.
Une jeune fille que l'on viole.
Du sang qui gicle sur le trottoir.
Un crâne qui résonne et des mains qui tremblent.
Une fuite insensée à perdre haleine dans la capitale hostile.
Ferry et retour case départ à Alger.
Il y aura un avant premier drame, immense, il y a trente ans, dans cette cour d'Alger.
Une femme, une mère git au sol.
Seulement deux jambes et un sexe offert.
Un cercle de mâles excités, affamés et le sexe bandé.
Deux ombres, deux témoins qui s'approchent, ruisselantes elles aussi d'une sueur abjecte...
Puis un long silence.
Un fantôme sur le sol. Un corps saccagé, désarticulé et couvert immondes souillures.
Et de ce viol bestial dans cette nuit de folie, un enfant naîtra.
Puis c'est un dernier drame intense où la colère a envahi les âmes et les corps.
Deux frères se font face. Une lame jaillit. Une gorge béante vomit son sang.
Un hôpital psychiatrique. Un dépossédé de son identité avec ses médicaments qui l'abruti, qui le font délirer, qui le font halluciner.
Et puis il y a cette visite où ces deux hommes torturés, disloqués par tant de misère et oubliés du monde, parlent chacun de leur mère.
Au loin là-bas, mais très loin, hideux, poisseux, le visage du désespoir rit toujours…