La Fille du fermier

Vagabonde, qui adorait ces virées en pick-up car les chiens aussi sont sujets à l'ennui, jeta un oeil sur les bâtiments du lycée avec un air d'incompréhension. Vagabonde ignorait tout du monde parce que Tim la laissait toujours monter la garde au chalet quand il s'absentait.

Ainsi, après avoir prié à genoux au chevet de Tim, elle disait : Voici la réponse de Dieu à la douleur, et elle lui administrait une injection de morphine.

Elle croyait percevoir une sorte d'esprit en certaines créatures ou dans certains lieux, mais elle n'était sûre de rien pour les humains qui, selon ses manuels d'histoire, avaient un sombre passé d'assassins. Assise près de Tim endormi, elle sentit son propre esprit tourbillonner dans tout cette immensité, avant de se réduire à l'inévitable apitoiement sur soi. Pourquoi dois-je perdre le seul homme que j'aime en cette vie, en dehors de mon père ? Sa solitude était aussi vaste que le paysage.

Jaime bien la première partie du livre .

Ses études par correspondance avaient développé chez elle l'âme d'une solitaire, et sa vie s'était écoulée sans cette dizaine de tocades adolescentes qui font la jonction entre l'enfance et la puberté, cette terrifiante injustice qui veut qu'on tombe amoureuse d'un être qui ne remarque même pas votre existence. L'intérêt que Sarah portait à l'amour était de nature plus spirituelle, mais sans commune mesure avec les sermons de Peps sur le corps comme temple sacré de Dieu.

Si elle rougit de honte quand il partit au volant de son pick-up, elle fut contente qu'il ait dit à Vagabonde de rester avec elle, car la nuit est plus obscure quand on est seul.

La malchance a voulu que je tombe amoureux de la fille du rancher, avec qui je partais souvent en balade pour l'embrasser et la peloter. Au bout de quelques mois, je lui ai demandé de m'épouser et elle m'a alors répondu qu'elle ne pouvait pas se marier avec un homme qui n'allait pas hériter d'un grand ranch comme celui de son père, un ranch d'environ trente mille arpents, dont un quart de bonne terre à foin. Comme notre propriété était modeste, j'ai compris que je n'étais pas dans la course. Elle était furieuse parce qu'elle avait deux frères aînés et n'hériterait sans doute que de clopinettes. J'ai eu le coeur brisé et dès le lendemain je suis rentré chez moi. J'ai alors décidé de ne jamais me marier, puisque les femmes prenaient leur décision de cette manière.

Tim et Peps ne s'étaient jamais bien entendus. Selon le code de l'Ouest auquel souscrivait le vieillard, il ne fallait ni se plaindre ni pleurnicher, deux choses dont Peps usait et abusait. Lorsque Peps se plaignait auprès de lui, il répondait : La vie est dure, puis tournait les talons.

Il y a soixante ans, ma mère m'a dit de traiter toutes les femmes comme si elles étaient ma soeur. Même à l'époque, je me suis demandé comment dans ces conditions la race humaine pouvait bien perdurer.

Quatre jours avant l'anniversaire des quinze ans de sa fille, Peps partit au débotté, selon l'expression couramment utilisée dans l'ouest, évoquant quelqu'un se levant brusquement d'un canapé pour se ruer vers la lumière du jour.