Enfin, je reviens vers vous avec un nouveau récit de mon ami Jim Harrison. De Marquette à Veracruz est un roman très beau. Ici j'ai été totalement envoûté par ce récit très complexe, totalement déstabilisé au départ, une difficulté je l'avoue au premier abord pour entrer dans le texte, dans cet amalgame de personnages, pourtant on reste toujours dans la même famille, la même veine, la même verve...
Mais alors, que s'est-il passé pour que la magie s'opère ? Pour que le déclic se passe ? Sans doute tout ce que je viens de dire explique cela, le flux des personnages qui entrent dans l'histoire avec chacun d'entre eux détenant sa petite histoire, sa petite musique...
Une fois de plus, je suis conquis par l'écriture, le pouvoir de narration de cet auteur puissant qu'est Jim Harrison.
Je n'oublierai jamais David Burkett ni son histoire, héritier d'une famille riche ayant fortune dans le bois. On peut définir le père du narrateur de deux manières : il est très riche et c'est un prédateur sexuel. Voilà, le décor est bien planté une fois que l'on a dit cela. Et le narrateur va voyager dans sa vie avec le poids de ce bagage, ce sera son héritage.
Je n'oublierai jamais Clarence et son fils Donald, Glenn, Jesse, Cynthia, Laurie, Polly, Fred, Vera et les autres. Ce sont tous des êtres inoubliables et qui sont revenus longtemps après dans mes pensées.
Je n'oublierai jamais non plus le lac Supérieur, là-bas dans le fond du Michigan, la pêche à la truite, des rivières qui regorgent d'eau et de souvenirs d'enfance peut-être. Je pense que ce décor a dû aider David Burkett comme une réparation, une forme de résilience. Les berges des rivières regorgent d'endroits où il fait bon s'accrocher à la terre sous nos pas et revenir à l'essentiel. Et puis laisser filer dans le flot turbulent de l'eau qui passe ce qui n'est pas important...
Je n'oublierai pas non plus le rouge-queue, ce seul oiseau capable de survivre à l'hiver dans cette région. L'auteur s'étonne des milliers et des milliers d'années indispensables pour que cet oiseau acquiert ce comportement de survie. L'émotion survient une seconde après, lorsque le narrateur s'interroge sur sa manière de survivre, se demandant quel comportement de survie il avait mis au point au cours de sa brève existence. Tout est peut-être dit finalement dans cette observation.
Parfois dans l'histoire d'une famille, les dégâts sont irréversibles. Ici, le narrateur sans doute n'en peut plus de porter ce poids qui pèse, le poids du père. Il décide de prendre le large vers la Péninsule Nord, habiter un chalet perdu tout là-bas. Et nous le suivons dans son isolement.
La famille de David Burkett est fortunée. Comme je l'ai dit au tout début de ce billet, son père est une sorte d'obsédé sexuel, un prédateur qui s'attaque à de toutes jeunes filles, tandis que sa mère se réfugie dans l'alcool et les médicaments.
De Marquette à Veracruz, c'est l'itinéraire d'un adolescent qui devient adulte, une sorte de parcours initiatique. Ce livre raconte ce passage difficile, tumultueux. C'est une sorte de roman d'éducation. Ce passage n'est guère facile en effet, ressemble à un labyrinthe, quelque chose dont il paraît parfois difficile de s'en échapper.
Dans ce voyage, le narrateur convoque tour à tour Jésus, le sexe, l'alcool et la nature. Et tout ceci prend forme dans une merveilleuse harmonie. Dit comme cela, me croirez-vous si je vous avoue que je trouve Jim Harrison comme un écrivain totalement romantique ?
Des femmes viennent, séduisent le narrateur, s'enroulent dans les pages de l'histoire. Parfois, l'amour est là, parfois l'amour fut là. Le narrateur reconnaît qu'il jette souvent son dévolu sur des femmes totalement incompatibles avec lui.
Au fur et à mesure que se déroule le récit, j'ai été en totale empathie avec le narrateur, quelque chose me disant qu'il ressemblait de très près à ce qu'a pu être Jim Harrison.
C'est sans doute pour cela que j'ai trouvé le narrateur très attachant.
Pour le narrateur, le pardon est important. Il porte le poids de ce que représente son père et son voyage vers nous, à travers les pages très fortes et truculentes du récit.
Le sentiment de pénitence vient aussi, peu après. David Burkett semble à certains moments porter à lui seul le poid des méfaits de sa famille. Comment un seul être peut-il trouver la force de porter tout cela ? Et forcément, on se trouve à ce moment-là totalement proche de lui, voyageant avec lui, de Marquette à Veracruz...
C'est sans doute, selon moi, la question centrale de ce récit : jusqu'où porte-t-on en nous les erreurs, les méfaits parfois, les dégâts de sa famille qu'elle laisse derrière elle comme le seul héritage transmis aux enfants ? Et comment s'en alléger ?
Et puis enfin, l'écriture... Salvatrice. C'est sans doute cela qui sauve David Burkett. Sans doute il y a beaucoup de la propre existence de Jim Harrison dans ce récit. La nature est là comme un refuge, tandis que les êtres les plus proches vous entraînent dans des méandres impossibles où vous êtes peu à peu persuadé de perdre pied, perdre votre vie aussi.
Ce récit est consolant, au final.
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On retrouve dans ce livre tous les thèmes chers à l'auteur : l'écologie, la défense des minorités, l'amour de la nature , de la pêche et des animaux.
Le début , repris à la fin, est assez effarant de violence contenue et de cruauté : la mort symbolique et /ou réelle du père.
Ce père honni, qui viole, vole, détruit toute unité familiale.Un père dont, pourtant, le narrateur , David Burkett ,n'arrive pas à se libérer pleinement. Même s'il a décidé d'écrire un livre dénonçant les méfaits de sa famille, prédatrice et mercantile, qui n'a pas hésité à provoquer un désastre écologique en faisant abattre à outrance des arbres et en volant aux indiens leurs territoires. Sa lâcheté, son apitoiement sur lui-même sont assez agaçants mais son désir de vérité et de justice le rendent attachant.
En fait, ce sont les personnages féminins qui sont plus intéressants dans cette histoire.Que ce soit la soeur de David , rebelle, et qui parvient, elle, à se libérer de l'emprise paternelle ou les jeunes femmes qui vont croiser le chemin du narrateur, comme Vernice, poétesse libérée, elles ont toutes une force, un éclat singuliers.
C'est essentiellement un roman d'apprentissage, on découvre David adolescent dans les années soixante et son évolution vers l'âge adulte. Un David qui se cherche et tente,retiré dans un chalet, entre tourments et espoir ,de se réapproprier son identité, d'enfin vivre loin des névroses maternelles et des souffrances provoquées par par son père. En cela, c'est un livre fort, touchant.
Et il y a cette beauté simple et consolatrice des magnifiques paysages du Michigan. Le lien tendre et fusionnel que David a noué avec sa chienne Carla m'a beaucoup plu aussi.
De Marquette à Veracruz, un parcours initiatique flamboyant et mortifère. ...
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J'ai effectué un détour pour éviter de passer devant l'église baptiste, car j'avais sans nul doute sur la peau l'odeur du péché de fornication, et il ne s'agissait pas d'une mince affaire après une année consacrée au baptême, aux réunions de prières ainsi qu'à une lecture assidue et dévote de la Bible. Je me suis consolé en pensant que le fait de batifoler avec les filles ne semblait pas figurer en haut de la liste des interdictions promulguées par Jésus, et que si Saint Paul était sans aucun doute un homme de bien, il était sacrément casse-pieds. Ce genre de finasseries est typique des jeunes fondamentalistes qui cherchent une échappatoire afin de se comporter comme ils l'entendent.
Si tu refuses de mettre au monde ce qui est en toi, ce que tu ne mets pas au monde te détruiras.
Tout en me baignant dans un trou d'eau, j'ai vu un aigle doré pourchasser une grue des sables. Les deux volatiles sont passés au-dessus d'une colline avant que je ne puisse voir lequel l'a emporté. L'eau vive plaçait notre caractère mortel dans la meilleure lumière possible.
Certains hommes riches et puissants possédaient de toute évidence un sens esthétique très affirmé. C’était beaucoup moins patent dans les zones urbaines d’Amérique qu'à Paris, où souvent l'on n'en croyait pas ses yeux et l'on avait la chair de poule comme si l'on se trouvait confronté à un splendide tableau. Historiquement, la géopiété américaine avait ceci de troublant qu'elle autorisait les gens à se montrer fiers de la laideur destructrice de leurs œuvres. Cette ahurissante capacité qu'avaient eu certains de couper tous les grands pins blancs de l’État du Michigan devenait ensuite une source de fierté.
"... plutôt que d'une agonie il s'agissait d'un retrait progressif; sous le draps son corps restait immobile, mais il régnait une aura de départ qui, malgré la chaleur de la pièce, m'a soudain donné une impression de froid. Au lieu d'appuyer sur le bouton pour appeler une infirmière, j'ai écouté un aspect du vide que je n'avais pas encore entendu, comme si sa disparition avait interrompu tous les autres bruits. Je suis certain que cette sensation n'a pas duré plus que quelques instants, mais le temps venait de s'effondrer sur lui-même. Quand tout a été terminé, il ne me restait rien sur quoi tirer la moindre conclusion. Mon incompréhension était absolue. Laurie avait été présente ici, puis elle avait disparu, et j'avais beau comprendre l'évidence biologique de la mort, le tout outrepassait monstrueusement la somme muette de ses parties...."
Vie de Guastavino et Guastavino, d'Andrés Barba
Traduit de l'espagnol par François Gaudry
Devant la douleur des autres de Susan Sontag
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Fabienne Durand-Bogaert
le Style Camp de Susan Sontag
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Guy Durand
le Passé, d'Alan Pauls
Traduit de l'espagnol (Argentine) par André Gabastou.
Mumbo Jumbo, d'Ishmael Reed
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Gérard H. Durand
Nouvelle préface inédite de l'auteur
Dalva de Jim Harrison
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent