A SEPT ANS DANS LES BOIS
Suis-je aussi vieux que je le suis ?
Peut-être pas. Le temps est un mystère
Qui peut nous renverser les quatre fers en l'air.
Hier, j'avais sept ans dans les bois,
un bandage sur l’œil aveugle,
un sac de couchage fabriqué par ma mère
pour que je puisse dormir en forêt
loin des gens. Une couleuvre a glissé
sans me remarquer. Une mésange
s'est posée sur mon orteil nu, si légère
que je n'y ai pas cru. La nuit
avait été longue, la cime des arbres
piquetée d'un milliard d'étoiles. Qui
étais-je, borgne sur le sol de la forêt,
qui étais-je à sept ans ? Soixante-huit ans
plus tard je peux toujours habiter le corps
de ce garçon sans penser au temps écoulé depuis.
Le fardeau de la vie, c'est d'avoir maints âges
sans voir la fin du temps.
PRIÈRE RÉTROSPECTIVE
Je prie pour Mandelstam caché
sous la neige dans un fossé. Les Stalinistes veulent le tuer
et y parviennent. S’il Te plaît mon Dieu, je veux
qu’il s’enfuie dans le Nebraska. Je prie pour Lorca
afin que les armes des assassins s’enraient et qu’il s’enfuie
tel le héron volant vers l’ouest de la Méditerranée
puis traverse l’océan jusqu’au Michigan où la neige
lui déplaira sans doute mais au moins il sera vivant.
Il aimait la musique de Cuba et du Brésil, que nous n’avons
guère ici. S’il Te plaît mon Dieu, sauve-le.
Je prie même pour que Keats ne meure pas
si jeune mais ait encore une trentaine d’années à vivre
et écrive des poèmes à Rome. Il aime bien
s’asseoir avec ma petite amie sur l’escalier de
la Trinité. Puis-je lui faire confiance ? Sans doute pas
mais comme je désire d’autres poèmes de lui je ne
lui en veux pas. Et bien sûr Caravage
le roi des peintres doit vivre plus longtemps,
mon Dieu. A quoi bon créer un grand peintre
pour qu’il meure si tôt ?
Le choix consiste à fuir dans les montagnes
ou à rester dîner comme les humains ordinaires.
Certains poètes tentèrent leur chance tandis que la plupart
s'enfermèrent à l'université et restèrent à la maison
pour dîner.
A sept ans dans les bois
Soixante-huit ans
plus tard je peux toujours habiter le corps
de ce garçon sans penser au temps écoulé depuis.
Le fardeau de la vie, c'est d'avoir maints âges
sans voir la fin des temps.
(Les derniers vers du poème)