En dehors des leçons qu'elle me donna jusqu'à mon entrée au collège, ma mère ne parlait pas. La parole n'entrait pas dans son ordre. Pour qu'elle dérogeât à cet ordre, il fallait que le premier j'eusse commis une transgression quelconque. C'est-à-dire que ma mère ne m'adressait la parole que pour me réprimander, avant de me punir.
On a besoin de ses mains pour dire les choses que la parole ne traduit pas.
L'amour est un piège. La pitié aussi.
« Que peuvent-elles donc faire de tant de pantalons et de jupons? » pensait le petit garçon que ces tournées humiliaient et fascinaient, tout à la fois.
Je considérais la formation d'une tragédie classique ou d'une pièce de vers telle un mécanisme de principes et de recettes enchaînés par la seule volonté de l'auteur. Une ou deux fois cependant la grâce m'effleura. J'eus la perception que la tragédie ou le poème pourraient bien ne dépendre que de leur propre fatalité intérieure, condition de l'oeuvre d'art.
Dominique et son père ne s'étaient jamais heurtés, peut-être parce qu'ils ne s'étaient jamais rencontrés.
Moi, je ne connaissais pas la joie . Je ne pouvais connaître la joie. C'était plus qu'une interdiction . Ce fut d'abord un refus, cela devenait une impuissance, une stérilité . Mon coeur était amer, ravagé. J'avais dix-huit ans.
Je me croyais défait de ma mère et je me découvrais d'autres liens avec la terre.
Mes yeux s'attachaient sur notre maison, basse, longue, et, lui faisant face,
les bâtiments de même style identifié au sol austère. ......Et sur tout ça, la présence de l'eau. Dans la fraîcheur de l'air, les espèces de plantes, le chant des grenouilles. Ruisseaux, rivière molle, étangs clairs ou figés et, tout près de la maison , bouillonnant dans un précipice de rocher, le torrent.
On ne peut pas plus parler de l'hiver que de la mort. De la faim, de la soif. De l'amour aussi. Et de la pauvreté. Poussée à de certaines limites, la vie se passe derrière la porte du silence. L'aventure trop forte nous saisit, nous submerge, nous transforme, s'accomplit si intimement, si totalement en nous, qu'elle se met à exister à notre place, nous dispensant de toute parole, de toute plainte.
La brutalité est le recours de ceux qui n'ont plus de pouvoir intérieur.