Je replonge dans mes notes de lectures et d'études de ce roman québécois publié en 1971,
Kamouraska d'
Anne Hébert. Je l'ai découvert il y a quelques années et relu récemment.
C'est l'histoire d'une passion amoureuse dans tous ses excès. Madame Rolland se tient au chevet de son époux, en train de mourir. Pendant cette veille, elle repense à sa jeunesse tumultueuse, à son premier mariage avec Antoine de Tassy et à ses amours adultères avec le docteur Nelson… Cela se passe quelque part à l'est du Québec, sur la rive sud du Saint-Laurent.
La base de l'intrigue romanesque est issue d'un fait divers réel : en 1839, Achille Taché, le seigneur de
Kamouraska, est assassiné par le Docteur
George Holmes. On suspecta l'épouse, Éléonore d'Estimauville, de complicité ; si l'auteure a changé les noms, elle a gardé l'époque, les initiales des prénoms et le lieu emblématique à l'étrange sonorité.
Il s'agit ici de l'éternel triangle amoureux et de toutes une série de triptyques associés…
En parallèle du triangle typique du couple et de l'amant (Antoine/ Elisabeth/ George), il y a un triangle diabolique d'empoisonneurs (Elisabeth/ George/ Aurélie) ; cette dernière est un personnage trouble, qui rêve de prendre la place d'Élisabeth et de lui ressembler.
Les trois tantes sont des personnages secondaires très intéressantes, telles trois vieilles fées… Elisabeth et Antoine ont trois enfants… Il y a trois servantes…
On peut également relever trois couleurs dominantes dans le récit : le blanc de la neige et du givre, le noir porté par le docteur Nelson, toujours décrit comme un être sombre et diabolique, la couleur de ses yeux ou encore la robe de son cheval, le noir du deuil et le rouge très féminin des travaux d'aiguilles ou des vêtements.
J'ai été frappée par la naissance de l'amour entre Elisabeth et Georges sur fonds de rivalité masculine : le mari et l'amant se connaissaient depuis l'école et étaient déjà rivaux, adversaires aux échecs. Pour George, posséder Elisabeth n'est pas très diffèrent de battre Antoine sur un échiquier.
J'avoue avoir un peu buté sur le schéma narratif de ce livre, particulièrement complexe, car les points de vue intérieurs et omniscients se mêlent dans une alternance de première et de troisième personnes dont il faut s'approprier le rythme et le sens. Il n'y a pas de mise en page particulière ou de guillemets pour signaler qui s'exprime et à quel titre.
Puis, cela devient plus fluide quand Elisabeth assume de plus en plus la narration, à mesure qu'elle se replonge dans les souvenirs et qu'elle se laisse emporter par eux. Les deux facettes de son personnage sont même bien différenciées : Mme Rolland désigne l'épouse respectable tandis que le prénom seul indique les souvenirs passionnés. Il ne faut jamais perdre de vue que tout est raconté de son point de vue, à travers sa focalisation, son imaginaire, ses ressentis. Elisabeth vit par la pensée ce que vit son amant : le voyage dans la neige vers l'anse de
Kamouraska, le meurtre…
Le présent et le passé se mélangent également dans une temporalité alternée avec souvent des effets d'annonces.
Il m'a fallu plusieurs lectures pour tout comprendre.
Naturellement, j'ai apprécié le dépaysement, la langue et les accents québécois de certains dialogues, trop peu à mon goût d'ailleurs car
Anne Hébert a écrit pour un lectorat francophone et a choisi un langage assez neutre, dans un souci de compromis linguistique peut-être. Par contre, la présence de l'anglais est importante dans ce roman, tant dans le langage amoureux que dans le jargon juridique…
Et puis il y a toute une intertextualité en filigrane autour de
la Lettre écarlate de
Nathaniel Hawthorne, de
Macbeth de
Shakespeare, d'Anna Karénine de Tolstoï ou encore de la Princesse de Clèves de Mme de la Fayette… le thème de l'adultère, le côté théâtral de certains passages et les références aux tâches de sang, la succession de scènes du bal qui résument la jeunesse d'Elisabeth sont autant de références à des grandes oeuvres littéraires.
Kamouraska n'est pas un roman facile, loin de là.
Il faut s'accrocher pour en venir à bout, ne jamais perdre de vue qu'il donne à lire une parole féminine complexe et déconcertante, qu'il nous plonge dans la conscience d'une femme en proie à la passion au sens tragique du terme.
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