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Citations sur Oeuvres complètes de Henri Heine. 8, Poëmes et légendes (15)

IV

« Des mots ! des mots ! point de faits ! jamais de viande, poupée chérie ! toujours de l’âme, et jamais de rôti ! toujours de la soupe maigre ! Qui sait, pourtant, si les fiers élans de la nature chevauchant sur sa cavale, la passion, qui sait si cette chasse infernale, si le galop quotidien du grand steeple-chase de l’amour ne finirait point par épuiser ta délicate personne ?

» Crois-moi, pour toi, mignonne, un perclus de mon espèce est certainement le plus hygiénique des adorateurs.

» C’est pourquoi, je t’invite, ma charmante, à consacrer toutes les forces de ton âme à l’affermissement de notre lien spirituel. Tu te trouveras très bien d’un pareil régime. »
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III

« Avec des tenailles rougies, pince-moi les côtes, la poitrine, le visage ; fais-moi écorcher, fusiller, lapider, mais ne me fais pas attendre, non, ne me fais pas attendre.

» Cruellement, par tous les procédés de torture imaginables, fais-moi rompre bras et jambes, mais ne me fais point attendre ; car, de toutes les tortures, l’attente vaine est la plus douloureuse !

» Tout l’après-midi, jusqu’à six heures, je t’ai inutilement attendue hier. Tu ne vins pas, sorcière, si bien que j’en devins quasiment fou ! L’impatience me tenait encerclé comme par des nœuds de vipère, et je bondissais sur ma couche à chaque coup de sonnette ; mais, angoisse mortelle, ce n’est pas toi qu’il annonçait !

» Tu ne vins pas, — je rage, je me démène, et Satanas me souffle ironiquement à l’oreille : « La fleur de lotus, la charmante se fiche de toi, vieux fou ! »
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II

« Tu es enchaînée par le cercle magique de ma pensée, et ce que j’ai imaginé, rêvé, tu dois à ton tour l’imaginer et le rêver. Tu ne saurais échapper à l’étreinte de mon esprit.

» Son souffle sauvage t’enveloppe ; même dans le lit, tu n’es pas sûre contre son ricanement et son baiser.

» Mon corps mort gît dans la tombe, néanmoins mon esprit survit, et, semblable à un génie familier, il habite dans ton cœur, ma toute gracieuse.

» Accorde-le-lui volontiers, le doux petit nid ; quoi que tu fasses, tu n’échapperas jamais au monstre, tu ne te soustrairas point au pauvre chenapan, et cela quand tu fuirais jusqu’au Japon, quand tu te sauverais en Chine !

» Car partout où ton chemin te conduit, mon esprit siège dans ton cœur ; c’est là qu’il rêve ses rêves insensés, c’est là qu’il tente ses sauts alertes.

» Entends-tu ? Le voici qui fait de la musique, et ses bonds, comme ses accords, ont un tel charme, que la mouche qui se promène dans les plis de ton rideau s’arrête, ravie, et bondit, elle aussi, de plaisir. »
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LA FLEUR DE LA PASSION

« Mon rêve s’encadrait dans des demi-ténèbres. Une nuit d’été. De pâles débris, restes mutilés d’une magnificence éteinte, des fragments d’architecture, ruines du temps de la Renaissance, reposent épars sous la flottante clarté de la lune.

» Çà et là, une colonne coiffée de son classique chapiteau d’ordre dorique surgit parmi les décombres. Audacieusement levée vers le ciel, elle semble défier ses foudres.

» Ailleurs, des débris de portiques, de toits pointus dont les angles, laborieusement fouillés, sont pourvus de sculptures représentant les créatures intermédiaires entre la bête et l’homme ; des gargouilles, des sphinx, des centaures, des satyres, des chimères ; bref, toutes les bizarreries du monde de la Fable, gisent dispersés sur le sol.

» Pareillement, plus d’une figure de femme taillée en pierre repose dans l’herbe, pâle nudité disparaissant à demi sous un réseau de végétations incultes. Le temps, cette syphilis incurable, a rongé le bout de leur noble nez, le nez classique des déesses et des nymphes.

» Cependant un sarcophage en marbre, seul monument intact parmi cet amoncellement de débris, domine les ruines, et dans ce sarcophage repose, préservé comme lui de l’atteinte de la destruction, un mort d’une physionomie douce et souffrante.

» Des cariatides au cou tendu soutiennent le monument, et les bas-reliefs du pourtour représentent un monde de figures sculptées.

» Ici, le regard s’arrête sur les magnificences de l’Olympe et sur les libertines déités païennes ; debout, près d’elles, les personnages d’Adam et d’Ève apparaissent pourvus du chaste tablier en feuilles de figuier.

» Ici, c’est la chute de Troie, Troie périssant dans les flammes, Pâris, Hélène, Hector. Des personnages bibliques, Aaron et Moïse, Judith et Holopherne, l’impie Aman lui-même font suite au cortège des héros grecs.

» Le même bas-relief contient l’image du dieu Amour, celle de Phébus Apollon, puis des groupes formés par Vulcain et dame Vénus, par Pluton et Proserpine, enfin par Mercure, par Bacchus accompagné de Priape et de Silène.

» Derrière eux se tient l’âne de Balaam (l’âne frappant de ressemblance) ; on voit aussi le sacrifice d’Abraham, et Loth, qui se soûla avec ses filles.

» Ici danse Hérodiade : sur un plat, on apporte le chef décollé du Précurseur ; plus loin, c’est l’enfer avec Satan, et saint Pierre chargé de la clef gigantesque qui ouvre les portes du Ciel.

» Plus loin encore, un tableau lascif : les ardeurs et les méfaits de Jupiter, comment il séduisit Léda sous la forme d’un cygne et Danaé par une pluie de pièces d’or.

» Ici passe, avec la rapidité d’une flèche, Diane suivie de son cortège, — nymphes à la tunique retroussée, meutes lancées et haletantes ; — tout près de là, file Hercule, la quenouille au bras, travesti en femme.

» Là, paraît le Sinaï ; au pied de la montagne, Israël adore le Veau d’or ; on aperçoit aussi le Seigneur, qui discute, encore enfant, avec les orthodoxes assemblés dans le Temple.

» Ici, les contrastes sont hardiment accusés. Les voluptés de la Grèce païenne et la divine personnification de la pensée judaïque ! Le lierre, se tordant à travers ces images, les enlace de ses sombres étreintes.

» Bizarrerie des songes ! Tandis que mon regard se posait en rêve sur ces sculptures, il me vint soudain à l’esprit que j’étais moi-même l’homme mort qui occupait cette tombe magnifique.

» Une fleur s’épanouissait au chevet de ma couche, fleur d’aspect énigmatique. Les pétales de cette fleur étaient violets et jaune de soufre, et d’elle tout entière se dégageait un sauvage charme d’amour.

» Le peuple la nomme « la fleur de la Passion » ; il la dit éclose sur le sol du Calvaire, à l’heure où le divin Crucifié y répandit son sang rédempteur.

» Selon la légende, cette fleur porte un témoignage de sang, et son calice renferme l’image de tous les instruments du martyre.

» Clous et marteau, courroies et calice, croix et couronne d’épines, on y retrouve tous les attributs de la Passion, tout le sanglant attirail de la torture.

» Une telle fleur était auprès de ma tombe, et, penchée sur mon cadavre comme une femme en deuil, dans une désolation muette me baisait le front, les yeux, la main.

» Magie du rêve ! Voilà que, par une transformation étrange, la fleur de la Passion, la fleur couleur de soufre devient effectivement une femme, et cette femme, c’est elle, la bien-aimée.

» Oui, c’était toi, la fleur, ô mon enfant ! Je devais te reconnaître à tes baisers ! Des lèvres de fleur sont moins tendres ; des larmes de fleur, moins brûlantes.

» Ma paupière était close, mais mon âme n’a pas cessé de contempler ta face. Tu me regardais, comme en extase, pâle sous les rayons de la lune qui te caressait de lueurs fantastiques.

» Nous ne parlions point. Toutefois mon cœur entendait ce qui se passait dans le tien ; le mot prononcé hautement est sans pudeur, la chaste fleur de l’amour est le silence.

» Et combien éloquent est ce silence ! On se dit tout sans métaphores, l’âme ne se croit point obligée d’arborer l’hypocrite feuille de vigne ; on se sait compris sans avoir à se préoccuper de la richesse de la rime, de l’harmonie de la phrase.

» Face à face l’un de l’autre, les mots, dépourvus de leurs voiles, prennent un aspect impudique. La chair est soumise aux conditions du temps et du lieu, mais les pensées ne connaissent point d’entraves.

» D’un calme regard, elles affirment leur accord. Parfois, mues d’un désir étrange, elles se précipitent dans le sein de la folie ; puis, soudain, reparaissent blanches et immaculées comme de nobles cygnes.

» Entretien muet ! On ne croirait guère comme le temps fuit pendant la silencieuse causerie, dans le rêve charmant de la nuit d’été, ce rêve tissé de voluptés et de frissons !

» Ce que nous nous sommes dit, ne le demande jamais. Demande le secret de ses clartés au ver luisant ; à l’onde, l’explication de son murmure ; au vent d’ouest, demande le mot de son gémissement et de sa plainte.

» Demande ce que signifient les feux de l’escarboucle, ce que veulent dire les parfums de l’hespéris et de la rose ; mais jamais, entends-tu, jamais ne demande de quoi, sous les rayons de la lune, dans le jardin funèbre, l’homme mort et la fleur du martyre s’entretenaient ensemble.

» J’ignore combien de temps, dans ma fraîche cellule de marbre, je goûtai le beau rêve pacifique. Ah ! mon repos ne tarda guère à s’évanouir.

» Toi seule, ô mort ! toi seule avec ton silence sépulcral, toi seule, peux nous donner la volupté suprême. Les convulsions de la passion, c’est-à-dire le plaisir tourmentê et inquiet, l’agitation sans trêve, voilà ce que la vie brutale et absurde nous donne pour du bonheur.

» Hélas ! d’abominables clameurs, venues du dehors, mirent un terme à ma béatitude. Ma fleur avait fui au bruit populacier d’une dispute vulgaire.

» Oui, on entendait des sons de voix querelleuses, des trépignements de colère. Certains accents me frappèrent ; je crus reconnaître les voix des personnages sculptés sur les bas-reliefs de ma tombe.

» Quoi ! le spectre suranné de la foi vient-il hanter la pierre ? Et la division se glisse-t-elle dans les figures marmoréennes ? Voici le cri d’alarme de Pan, du sauvage dieu des forêts, qui semble vouloir rivaliser de puissance avec les emportements de Moïse.

» Non, jamais ne finira cette querelle, toujours on verra subsister l’éternel démêlé entre le vrai et le beau, toujours l’armée humaine demeurera partagée en deux camps : celui des Barbares et celui des Hellènes.

» S’injuriaient-ils ! se disaient-ils assez de sottises ! Ils n’en finissaient point avec l’insipide controverse ! Il y avait là surtout un certain âne, l’âne de Balaam, qui criait plus fort à lui seul que dieux et saints réunis.

» Avec son y-a-y-a, sa façon de braire ridicule et stupide, la sotte bête m’exaspéra. Moi-même, finalement, je poussai un cri et m’éveillai. »
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XL.
Les charmans désirs fleurissent et puis se fanent; ils fleurissent encore et se fanent encore; les choses vont ainsi jusqu’à la tombe.

Je sais cela, c’est ce qui me gâte tout amour et toute joie. Mon cœur est si intelligent, mon cœur a tant d’esprit, qu’il en est tout saignant dans ma poitrine.

XLI.
L’aspect du ciel est comme un visage de vieillard, avec un seul œil rouge et une chevelure flottante de gris nuages.

Abaisse-t-il son regard borgne vers la terre, fleurs et feuilles se flétrissent, et l’amour aussi et les chants doivent se flétrir au fond du cœur de l’homme.


XLII.
Ennuyé, morose, le cœur refroidi, je parcours le monde également froid et chagrin. L’automne touche à son terme. Un brouillard enveloppe comme d’un linceul humide les paysages à demi morts.

Les vents sifflent, fouettant de côté et d’autre les feuilles rouges et jaunes qui tombent des arbres. La forêt gémit, la bruyère est couverte d’une vapeur fumante. Voici le pire à présent : il pleut.

XLIII.
Les brouillards de la fin de l’automne, comme des songes glacés, s’abattent sur la vallée et sur la plaine. L’orage effeuille les arbres, ils sont nus et chauves comme des spectres.

Il n’y en a qu’un seul, un seul arbre silencieux et triste, qui reste là, couvert de son feuillage; humide de larmes de douleur, il secoue parfois sa tête verdoyante.

Ah ! mon cœur ressemble à ce paysage désert, et cet arbre que je vois là aussi vert qu’aux jours d’été, c’est votre image, madame, l’image de votre inaltérable beauté.

XLIV.
Un ciel gris et vulgaire! La ville aussi est toujours la même, toujours se mirant dans l’Elbe, aussi gauche et aussi maussade.

De longs nez qu’on mouche aussi bruyamment et aussi ennuyeusement qu’autrefois ! Et cela s’incline avec une dévotion hypocrite, ou cela se gonfle avec outrecuidance!

O contrées du midi ! combien j’adore votre beau ciel et vos belles divinités, depuis que j’ai revu ces hommes affreux et cet affreux climat !
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XXXI.
Enivrées du clair de lune, les fleurs du tilleul épanchent leurs parfums, et les bois et les airs retentissent des chants du rossignol.

« Il est doux, ô bien-aimé, de s’asseoir sous ce tilleul, quand les rayons d’or de la lune brillent à travers son feuillage protecteur.

« Regarde cette feuille, tu verras qu’elle a la forme d’un cœur; c’est pour cela qu’entre tous les arbres les amoureux choisissent de préférence le tilleul et aiment à deviser sous son ombre. « Mais tu souris, comme perdu en des songes lointains. Parle, ô mon bien-aimé, quels sont les désirs qui germent dans ton cœur?

« — Ah volontiers, ma mignonne, je t’en ferai l’aveu. Je voudrais qu’une froide bise, venant du nord, soudain nous envoyât une blanche tombée de neige,

« Et que nous, des traîneaux peints de couleurs bariolées, au bruit des grelots sonores, aux claquemens des fouets, nous emportassent, bien enveloppés de fourrures, à travers les plaines et les rivières gelées ! »

XXXII.
Dans la forêt, au clair de lune, la nuit dernière, je vis passer les elfes. J’entendais retentir leurs cors, j’entendais sonner leurs clochettes.

Ils chevauchaient sur de petits coursiers blancs qui portaient des ramures d’or, et ils fendaient les airs aussi rapidement qu’une troupe effarouchée de cygnes sauvages.

La reine, en passant au galop, me fit un signe de tête et me lança un sourire. Souriait-elle de me voir encore une fois amoureux ? ou bien son sourire était-il un présage de mort?

XXXIII.
Le matin je t’envoie les violettes que j’ai trouvées dès l’aube dans la forêt, et le soir je t’apporte les roses que j’ai cueillies à l’heure du crépuscule.

Sais-tu ce que pourraient te dire ces belles fleurs dans leur langage symbolique? Sois-moi fidèle dès le matin, et aime-moi pendant toutes les nuits.

XXXIV.
La lettre que tu m’as écrite ne m’inquiète pas du tout. Tu ne veux plus m’aimer, mais ta lettre est bien longue.

Douze pages d’une écriture serrée et charmante! un petit manuscrit! On n’écrit pas avec tant de soin pour donner congé.

XXXV
Ne crains pas que je trahisse mon amour devant le monde, lorsque mes lèvres, au sujet de ta beauté, débordent en métaphores.

Sous une forêt de fleurs, il est profondément et soigneusement caché, ce secret brûlant, ce feu profond et discret.

Si parfois des étincelles suspectes jaillissent du milieu des roses, — ne crains rien ! le monde de nos jours ne croit pas aux flammes véritables, et il prendra tout cela pour de la poésie.

XXXVI
Les bruits dont le printemps remplit le jour, il en remplit aussi mes nuits; ses échos et ses reflets se glissent jusque dans mes songes.

Seulement, comme en un pays de fées, les oiseaux alors chantent des mélodies plus gracieuses, les airs sont plus suaves, le parfum des violettes monte plus ardent, plus voluptueux.

Les roses aussi brillent d’un éclat plus vif; elles portent des gloires d’or, comme les petites têtes d’anges dans les tableaux d’église.

Moi-même il me semble alors que je suis un rossignol et que je chante mou amour à ces roses entourées d’auréoles. Je chante en rêvant de merveilleuses mélodies.

Et tout cela dure jusqu’au moment où je suis réveillé par les rayons de soleil ou par le tapage charmant de ces autres rossignols qui bourdonnent en face de ma fenêtre.

XXXVII.
A la voûte du ciel, les étoiles avec leurs petits pieds d’or cheminent tout doucement, tout doucement; elles craignent d’éveiller la terre, qui dort tranquille au sein de la nuit.

Les forêts silencieuses sont là qui écoutent : chaque feuille est une oreille verte ! et la montagne, en rêvant, étend son long bras d’ombre.

Mais qui appelle? L’écho de ces accens a retenti dans mon cœur. Était-ce la voix de ma bien-aimée? ou était-ce seulement le rossignol?

XXXVIII.
Le printemps est sérieux, ses rêves sont tristes, chaque fleur semble pénétrée de douleur; il y a une mélancolie secrète dans le chant du rossignol.

Oh! ne souris pas, chère belle, ne souris pas si gaiement, si joyeusement! Oh! pleure plutôt; je voudrais avec un baiser essuyer une larme sur ta joue.

XXXIX.
Déjà je dois m’arracher du cœur que j’aime si tendrement, déjà je dois m’en arracher. Si tu savais combien il m’en coûte de partir!

La voiture roule sur le pont qui craque, le fleuve sous le pont coule morne et triste. Encore une fois, je dis adieu à mon bonheur, je dis adieu au cœur que j’aime tendrement.

Les étoiles filent au ciel comme si elles fuyaient devant ma douleur. Adieu, à bien-aimée! dans les pays lointains, partout où je serai, ton image sera dans mon âme.
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XXVI.
Comme les œillets embaument! comme les étoiles, essaim d’abeilles d’or, reluisent et scintillent à travers un ciel de couleur violette!

Dans l’ombre des châtaigniers brille la villa toute blanche et séduisante; j’entends le bruit de la porte vitrée, j’entends le murmure de la plus douce voix.

Frémissemens pleins de volupté! charmantes émotions! embrassemens tendres et timides ! Et les jeunes roses sont aux écoutes, et les rossignols chantent.

XXVII.
N’ai-je pas autrefois rêvé du même bonheur? n’étaient-ce pas les mêmes arbres, les mêmes fleurs, les mêmes baisers, les mêmes regards ? La lune ne brillait-elle pas de la même manière à travers les feuilles du berceau qui abritait notre amour? Des dieux de marbre ne faisaient-ils pas au seuil, comme aujourd’hui, une garde silencieuse?

Hélas! je sais comme ils changent, ces beaux rêves trop charmans, et comme les fleurs se fanent, et comme les arbres s’enveloppent d’un froid vêtement de neige.

Je sais comment nous en viendrons à nous refroidir nous-mêmes, et à nous fuir, et à nous oublier, nous qui aujourd’hui nous aimons si tendrement, nous qui nous serrons si tendrement cœur contre cœur.

XXVIII.
Les baisers dérobés dans l’ombre et dans l’ombre rendus, ah! ces baisers si doux, comme ils enivrent de bonheur l’âme qui aime!

Bercée de doux souvenirs et de pressentimens plus doux encore, notre âme pense alors à maintes choses des jours passés, à maintes choses aussi des jours à venir.

Mais trop penser est fastidieux quand on s’embrasse; pleure plutôt, chère âme, et soulage-toi par des larmes.

XXIX.
Il y avait un vieux roi; son cœur était fatigué, sa tête était grise. Le vieux roi prit une jeune femme.

Il y avait un beau page; sa tête était blonde, son esprit léger. De la robe de soie de la jeune reine le beau page portait la queue.

La vieille chanson, la connais-tu? Elle résonne si doucement, si tristement elle résonne! Ils durent mourir tous deux, ils s’aimaient trop.

XXX.
Dans mon cœur refleurissent les images depuis longtemps éteintes….. Qu’est-ce qu’il y a dans ta voix qui fait tressaillir mon âme?

Ne dis pas que tu m’aimes ! Je sais que tout ce qu’il y a de plus beau sur la terre, le printemps et l’amour, doit misérablement périr.

Ne dis pas que tu m’aimes ! embrasse-moi seulement et tais-toi; tais-toi et souris, si je te montre demain ce bouquet de roses fanées et flétries.
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XXI.
C’est parce que je t’aime que je suis forcé de te fuir, d’éviter ton visage... Ne te fâche pas ! Ton visage si beau, si serein, comment s’accorderait-il avec ma triste figure ?

C’est parce que je t’aime que ma figure est si pâle, si misérablement amaigrie... Tu finirais par me trouver laid; je veux t’éviter... Ne t’irrite pas!

XXII.
Je vais errant au milieu des fleurs, et moi-même je m’épanouis avec elles; je vais errant comme dans un rêve, et je chancelle à chaque pas.

Oh! soutiens-moi, ma bien-aimée! sans cela, l’ivresse d’amour va me précipiter à tes pieds, et le jardin est plein de monde.

XXIII.
Comme au sein des vagues impétueuses tremble l’image de la lune, tandis qu’elle-même chemine, d’un pas sûr et calme, en haut de la voûte céleste,

Ainsi toi, ma bien-aimée, tu poursuis ton chemin, calme et sereine, et c’est bien ton image seule qui tremble au fond de mon cœur, parce que mon cœur est ébranlé.

XXIV.
Nos cœurs ont conclu la sainte-alliance; pressés l’un contre l’autre, ils se comprenaient bien.

Seulement, hélas ! la jeune rose qui ornait ta poitrine, cette pauvre alliée, a été presque écrasée par notre entente cordiale.

XXV.
Dis-moi, qui a inventé les horloges, la division du temps, les minutes et les heures? C’était un homme triste et froid. Il était assis pendant une nuit d’hiver, il réfléchissait, il comptait le trottement familier des souris et le bruit monotone du ver qui ronge le bois en mesure.

Dis-moi, qui a inventé les baisers? C’était une bouche tout enflammée de bonheur. Elle jetait ses baisers sans penser à autre chose. C’était dans le beau mois de mai; les fleurs sortaient de la terre, le soleil souriait, les oiseaux chantaient.
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XV.
La svelte fleur des eaux se balance rêveuse au milieu du lac ; l’astre des nuits la salue tout tremblant de langueur et de désir.

Confuse, elle incline sa tête vers les ondes; soudain elle y voit à ses pieds son pauvre amoureux à la face blême.

XVI.
Si tu as de bons yeux, et que tu regardes dans mes chansons, tu y verras une jeune belle qui s’y promène de çà, de là.

Si tu as l’oreille fine, tu peux même entendre sa voix, et ses soupirs, son rire, son chant, affoleront ton pauvre cœur.

Avec les lueurs de son regard, avec le timbre de sa voix, elle te troublera comme moi-même, et, rêveur amoureux, tu t’en iras errant par la forêt printanière.

XVII.
Qui te fait errer ainsi dans les nuits de printemps? Tu as rendu les fleurs folles. Les marguerites sont effarées, les roses sont rouges de honte, les lis sont pâles comme la mort; elles se lamentent, elles sont toutes troublées, toutes confuses.

— O chère lune, quelle bégueule engeance que ces fleurs! elles ont raison, j’ai commis une faute grave; mais pouvais-je savoir qu’elles étaient là aux écoutes, lorsqu’enivré d’un amour brûlant, je causais avec les étoiles?

XVIII.
Avec tes yeux bleus tu me regardes doucement, et moi je deviens si rêveur que je ne puis parler.

C’est à tes yeux bleus que je pense toujours; un océan de pensées bleues inonde mon cœur.

XIX.
Encore une fois sous le joug est mon cœur récalcitrant, et toute sa vieille rancune s’est évanouie; encore une fois, avec la brise de mai, de tendres sentimens se sont glissés dans mon cœur.

Soir et matin, je me promène encore par les allées les plus fréquentées, et sous chaque chapeau de paille je cherche à apercevoir ma belle bien-aimée.

Encore une fois au bord des vertes ondes, encore une fois sur le pont, je m’arrête….. Ah! peut-être que sa voiture passera ici, et les regards bien-aimés rencontreront les miens.

Encore une fois, dans le murmure de la cascade, j’entends des avis salutaires, et mon cœur comprend ce que disent les blanches ondes.

Encore une fois, dans des sentiers qui s’entrelacent, je me suis perdu en rêvant, et les oiseaux dans les buissons se moquent du fol amoureux.

XX.
La rose embaume, — mais si elle sent les parfums qu’elle exhale, si le rossignol lui-même éprouve ce qui agite notre âme aux doux sanglots de son chant.

Je ne le sais pas. Mais la vérité nous attriste souvent, et lors même que la rose et le rossignol exprimeraient des sentimens qu’ils n’éprouvent point, un tel mensonge serait profitable, comme dans bien des cas.
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VIII.
Tous les arbres retentissent, tous les nids chantent ; quel est le maître de chapelle du vert orchestre des bois ?

Est-ce le vanneau au gris plumage qui sur sa branche cligne les yeux d’un air important ? est-ce le pédant qui se balance avec satisfaction en glapissant son éternel coucou ?

Est-ce la cigogne, ce grave animal, qui fait cliqueter sa longue patte, comme si elle dirigeait toute la bande des musiciens ?

Non, c’est dans mon cœur qu’il siège, le maître de chapelle de la forêt ; je sens comme il y bat la mesure, et je crois qu’il s’appelle Amour.

IX.
« Au commencement était le rossignol, et il chanta le verbe : Tsukut ! tsukut ! Et pendant qu’il chantait, partout s’épanouissaient et le gazon, et la violette, et la marguerite.

« Il se donna un coup de bec dans la poitrine, le sang rouge coula, et du sang sortit un beau rosier : c’est à ce rosier qu’il chante son amour.

« Nous autres, oiseaux de cette forêt, le sang qui jaillit de la blessure du chantre de la rose nous a tous rachetés et réconciliés ; mais lorsqu’un jour le rossignol rédempteur cessera de chanter son amour à la rose, c’en sera fait de nous et de la forêt entière. »

Ainsi parle à son moinilleau le vieux moineau niché sur un chêne. La femelle du moineau jette çà et là ses pieu pieu à travers le récit ; elle est là, bien installée à la place d’honneur.

C’est une bonne femme, une parfaite ménagère ; elle couve bravement ses œufs et ne boude jamais. Le vieux, pour utiliser ses loisirs, distribue l’instruction religieuse aux enfans.

X.
La chaude nuit de printemps a fait épanouir toutes les fleurs, et si mon cœur n’y prend garde, il va redevenir amoureux.

Mais laquelle de toutes ces fleurs méprendra dans ses filets ? Les rossignols en leurs chansons me conseillent de me défier des violettes, si timides, si modestes.

XI.
Le mal presse, les cloches sonnent ; hélas ! j’ai perdu la tête. Le printemps et deux beaux yeux ont conspiré de nouveau contre mon cœur. Le printemps et deux beaux yeux entraînent mon cœur dans une nouvelle folie. Je crois que les roses et les rossignols sont profondément impliqués dans cette conspiration.

XII.
Ah ! je voudrais pleurer, pleurer des larmes d’amour, des larmes pleines d’amertume et de délices, et je crains qu’à la fin mon désir ne soit exaucé.

Ah ! la douce misère de l’amour, et la volupté amère de l’amour, je les sens qui se glissent, ô torture joyeuse! dans mon âme à peine guérie.

XIII.
Les yeux bleus du printemps regardent du milieu de l’herbe : ce sont les chères violettes que j’ai cueillies pour en faire un bouquet.

Je les cueille, et je pense, et toutes les pensées qui soupirent dans le fond de mon cœur, le rossignol les chante tout haut.

Oui, ce que je pense, il le dit dans ses chants et avec des notes sonores qui retentissent au loin. Mon tendre secret, la forêt tout entière le sait déjà.

XIV.
Quand tu passes auprès de moi, quand ta robe m’effleure seulement, mon cœur bondit de joie et se précipite sur tes belles traces.

Alors tu te retournes, tu me regardes avec de grands yeux, et mon cœur est si effrayé, qu’il peut à peine te suivre.
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