Seul, Richard restait de glace. Dans un moment, il se rendrait à la Tour avec quelques autres pour assister à l'assassinat de Henry VI. Il n'hésiterait pas, mais ce devoir de prince lui déplaisait. Du fond de l'ombre, il lui semblait percevoir le regard des morts posés sur lui. Edouard de Lancastre avait son âge, il avait épousé la petite Anne de Middleham qui jouait à la poupée à côté de lui tandis qu'il étudiait et il lui avait porté le premier coup. Son adolescence était achevé désormais, il était homme, une main au pommeau de son épée, l'autre sur sa dague. Le monde était violence. Qui ne l'acceptait pas se perdait.
Anne regardait cet homme froid, réticent à exhiber ses émotions, contempler leur enfant. Un début de tendresse s'empara d'elle. Elle devait donner sa chance à Richard, tenter de le traiter moins durement, croire en lui, oublier qu'il avait participé à l'assassinat de son mari, à celui du roi Henry, qu'il avait fait décapiter Fauconberg, partisan de Marguerite d'Anjou, auquel le roi avait pourtant accordé son pardon, et envoyé sa tête sur un pal pour qu'il fût fiché sur le pont de Londres. Mais qui parmis les grands n'avais pas de sang sur les mains ? Depuis tant d'années on se battait clan contre clan, frère contre frère, rose rouge contre rose blanche.
- Chacun cherche à s'imposer à sa façon, Milord. Le monde n'est pas fait pour les agneaux mais pour les loups.
Le monde était violence. Qui ne l'acceptait pas se perdait.
Richard III, roi d'Angleterre, avait trente-deux ans. Il avait régné deux ans, un mois et vingt-huit jours. Sa mort héroïque jetait un ultime éclat sur la race éteinte des Plantagenêts.Le cadavre du roi fut dépouillé de tous ses vêtements. On lui passa la corde au cou, la marque infamante des félons, et on jeta sa dépouille en travers d'un cheval monté par un des écuyers de Tudor tenant par dérision l'étendard du sanglier blanc. En passant le pont de pierre qui enjambait la Soar, la tête de Richard heurta violemment le parapet, arrachant des croûtes de sang collées à ses cheveux. Deux jours, son corps resta exposé nu dans le couvent dominicain de Leicester. Puis il fut mis dans un cercueil de pin et enterré sans pierre ni épitaphe à l'ombre d'un érable centenaire dans le cimetière des religieux.