Cela fait beaucoup de bien d'irriguer son esprit d'une philosophie qui paraît aux antipodes de notre vie actuelle: expérience sportive qui ne vise surtout pas la performance mais le geste parfait qui s'acquiert par des années d'échecs, car rien n'est plus difficile que le détachement, l'oubli du moi. Expérience physique, une lutte de l'archer contre lui-même, allant jusqu'aux plus ultimes profondeurs, qui devient expérience mystique et transforme l'individu.
Quand on propose un poste au Japon à Eugen Herrigel, philosophe allemand, il est heureux : cela lui permet de se rapprocher du Zen, une énigme pour l'homme occidental - une mystique de l'absorption- qui le fascine et qu'il se désespère de comprendre simplement à travers la littérature.
A l'université impériale de Tohoku, on lui fait comprendre que la seule manière d'appréhender cette philosophie est de pratiquer un art qui lui permettra de faire une expérience mystique. Eugen Herrigel choisit le tir à l'arc, sa femme se met à l'arrangement floral.
Il débute son initiation avec un maître - un conducteur d'âmes - dont on ne saura ni le nom ni à quoi il ressemble. Ce qui compte dans le livre c'est l'initiation elle-même.
Le maître décompose les étapes du tir à l'arc: bander l'arc, relâcher la corde, mettre dans la cible.
Herrigel passe plusieurs mois à trouver le bon mouvement simplement pour la première étape.. le maître le dissuade d'utiliser la force physique, il blâme sa dépense de force et lui crie : « Relâchez-vous !»; il lui fait d'abord éprouver ses propres échecs avant de lui dire de travailler sur sa respiration. Une inspiration lente puis une expiration la plus lente possible avec un bourdonnement. La respiration évite de solliciter la force physique et elle empêche de trop se fixer sur le résultat.
Vient ensuite la deuxième phase du mouvement qui consiste à lâcher la corde et la flèche. le maître ne se lasse pas de leur montrer le geste parfait. Il faut se dépouiller de toute intention.
Cela prendra des années à Eugen Herrigel...Il nous fait part de ses difficultés techniques: la contraction de sa main, l'effort physique qui contrarie son relâchement, le questionnement incessant au maître.
Et le doute qui surgit dans son esprit: pourquoi consacrer autant de temps à cet art disparu, pourquoi s'épuiser à acquérir un geste inutile ? le maître lui répond que le temps n'est rien et qu'il est impossible de mesurer le chemin qui conduit au but.
Quand Herrigel triche avec sa main, le maître lui retire l'arc et lui tourne le dos. Il a trahi la doctrine du tir à l'arc.
Ils recommencent tout à zéro.
Il semble que c'est la lassitude qui finit par dissoudre le moi du philosophe allemand. Au cours de semaines où il se consacre au tir à l'arc sans passion, en se sentant atone, il finit par décrocher un tir que le maître applaudit. Quelque chose tire ! lui dit-il. Il a atteint l'état purement désintéressé. « Vous vous teniez complètement oublieux de vous-même. »
Et aussitôt il lui interdit de ressentir la joie de la réussite.
Puis l'élève apprend à distinguer par lui-même les tirs réussis des tirs ratés.
A la fin vient l'enseignement final : viser une cible lointaine et tirer sa flèche. le maître peut mettre au centre de la cible en fermant les yeux. Les élèves n'arrivent même pas à la toucher.
« Comportez-vous comme si le but était l'infini ».
Herrigel parle de la période la plus dure de sa vie pour cette dernière étape. Mais il finit par y arriver.
Avant de quitter le Japon en lui donnant un arc (qu'il devra réduire en poussière pour ne le léguer à personne), le maître japonais prévient le philosophe allemand: vous vous êtes transformé et vous vous en rendrez compte quand vous retrouverez vos amis.
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