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Citations sur Guerre et Térébenthine (53)

Ma besace était raidie par la boue et la crasse ; près d'une ferme abandonnée, nous rinçâmes nos affaires. Je découvris mon matériel de dessin, que j'avais presque oublié, un fusain et un crayon ; les quelques feuilles que j'avais apportées de la maison étaient couvertes de taches de boue. La gorge serrée, je m'assis contre un tronc d'arbre et dessinai le paysage ravagé, les ruines, les cratères formés par les bombes, les corps, les souches d'arbres pulvérisées, le cheval mort que je vis suspendu à un orme brisé, tout droit, la tête ensanglantée à moitié arrachée, horriblement tordue, formant un contraste saisissant avec, dans l'arrière-plan, le ciel frais du matin, les pattes entremêlées comme des branches dans les restes de l'arbre.
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Partout surgissent de véhéments patriotes, qui pendant la guerre se livraient à un commerce clandestin mais intensif avec les Allemands. Partout des traces et des témoignages sont fiévreusement effacés. Partout j’assiste à des querelles, de l’animosité, des ragots, des trahisons, des lâchetés et des pillages, tandis que les journaux exultent en évoquant une paix bienheureuse. Nous, les soldats qui revenons du front, nous sommes mieux informés. Nous nous taisons, luttons contre nos cauchemars, éclatant parfois en sanglots en sentant l’odeur du linge fraîchement repassé ou d’une tasse de lait chaud.
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Il est témoin d'un épouvantable accident du travail : le fils du forgeron tombe tête la première dans le four brûlant. Il voit le forgeron, qui à ce moment-là était occupé à donner des coups de marteau en tournant le dos au four et ne s'était rendu compte de rien, retirer son fils des flammes en jurant, mais il est trop tard. Ce qu'ils aperçoivent est un visage détruit, une boule noircie par le feu, aux traits vaguement humains où bouillonne un liquide glaireux, mélangé à de la salive ensanglantée. Les yeux calcinés sont blancs comme ceux d'un poisson cuit ; la bouche est un trou noir où billent les dents du haut à présent dégagées. Un jeune ouvrier entre, un seau dans les mains, et verse de l'eau sur la tête. Dans le sifflement et le gargouillement asphyxiants que produit l'eau qui s'infiltre en profondeur dans la peau brûlée, le jeune homme agonisant expulse un dernier gargarisme, tandis que le corps se tord et se convulse. […] Les ouvriers et les apprentis observent la scène fixement. […]
C'est le premier mort qu'a l'occasion de voir mon grand-père. Aucune assistance psychologique n'était prévue à l'époque ; il rentre chez lui et se tait pendant toute la soirée. […]
Puis tout va très vite. Après quelques semaines de recherches et de tâtonnements, il se retrouve à la fonderie. Dur labeur, un garçon de treize ans à peine qui les premiers jours déambule, perdu, dans un vacarme assourdissant […]
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Nous nous taisons, luttons contre nos cauchemars, éclatons parfois en sanglots sentant l’odeur du linge fraîchement repassé ou d’une tasse de lait chaud
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Des lettres dorées, une petite croix en carton-pâte avec une rose en plastique qui, chaque fois que je la redresse, retombe sous la brise légère. Des taureaux mugissant dans une étable sur l'autre rive. En provenance des bordures de roseaux, un son que je n'ai pas entendu depuis des décennies : le chant d'allégresse de la fauvette. Et même un coucou, clairement audible, de l'autre côté du fleuve – là encore, on en entend rarement de nos jours. Selon une vieille superstition, l'année sera bonne quand on entend le chant du coucou au printemps.
Quel paysage inaltéré ! Calme. Paix.
Ce sont les sons doux, lointains qu'il a dû entendre, lui aussi, que tous les soldats qui attendaient, dans l'angoisse de la mort, ont dû entendre : l'idylle dans l'enfer.
Paysage silencieux, nature indifférente, douceur, oubli de la terre, oubli dans cette eau coulant paisiblement qui a dû séparer la vie de la mort. En ce matin de printemps brumeux, tous les oiseaux ressemblent à d'étranges créatures qui crient des choses que je ne comprends pas. Mystique du temps et de l'espace. Quelle terre singulière que celle où nous avons l'habitude de vivre...
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Six décennies plus tard, pendant les sorties du dimanche en voiture, toujours heureux comme un enfant malgré son âge avancé, il était capable de regarder fixement la trace parfaite laissée dans le ciel par un Boeing passant à haute altitude et de dire que c'était beau, tout ce qu'il voyait dans le monde. sa joie de vivre avait poussé sur le terreau le plus sombre. (p. 47)
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Cependant, le spectacle qui s'offrit à nos yeux le lendemain matin dans la pénombre nous fit froid dans le dos : des chiens, des lapins, des chats, des belettes, des putois et des rats traversaient le fleuve en masse comme une armée irréelle en traçant, de leurs museaux sensibles à fleur d'eau, d'innombrables triangles sur la surface lisse et noire ; les écluses à Nieuport avaient été ouvertes, et jusqu'à Stuivekenskerke, Pervijze, Tervate et Schoorbakke, le pays se couvrait d'eau peu à peu. Nous prîmes lentement conscience que la marche de l'ennemi serait peut-être ainsi interrompue. Le cœur battant, nous regardions. Il fut strictement interdit de tirer sur les animaux, pour ne pas trahir notre position.Nous les vîmes par conséquent, ces messagers au nez fin d'un monde maudit, prendre la fuite face à cet incompréhensible Armageddon, arriver à terre, secouer l'eau de leur fourrure, courir sans se soucier de rien le long de nos tranchées, fuyant à l'aveuglette comme des lemmings.
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L'image d'elle qu'il portait secrètement en lui ne pouvait pas vieillir, alors que sa sœur, elle, vieillissait pour ainsi dire à sa place.
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Il s'agit sans aucun doute de la seule et de la plus grande peinture originale que mon grand père ait réalisé, comme si toute sa vie avait été un entrainement pour peindre se portrait de la purification.
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Il paraissait s'être mis à peindre de façon plus libre, plus vague et plus nonchalante, mais il se peut aussi qu'il ait commencé à y voir moins clair.
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