Citations sur Souvenirs d'un Européen (33)
Dans l’oppression et la profonde angoisse d’une époque pleine de vicissitudes, j’étais d’autant plus disposé à écouter n’importe quelle voix magique. Naturellement, je le savais fort bien, toute voix émanant d’un esprit et qu’il me serait donné d’entendre ne serait jamais que l’écho renvoyé par mon propre monde intérieur.
En somme, on n’accomplit jamais la chose que l’on préfère, on essaye de contourner ses désirs, on les flatte, on les exalte, on les déforme, on les déguise en idéals et en religions, au lieu de leur tordre rapidement et courageusement le cou.
L’attachement à des choses et à des circonstances appelées, qu’on le veuille ou non, à disparaître un jour, cet attachement doit avoir des limites ; la vie elle-même nous fixe ces limites et si nous les outrepassons, si nous nous raccrochons avec trop de ténacité aux choses révolues, nous entrons en contradiction avec la vie, qui est plus forte que nous.
[Tragique histoire]
Que cet écolier n’ait vécu son bonheur que par l’entremise d’un rêve ne diminue en rien la qualité de ce bonheur, car la plupart des hommes vivent leurs rêves bien plus intensément que leur existence réelle.
[Un beau rêve]
Vous avez l’air, dit le vieux monsieur, de quelqu’un qui remue ses désirs dans sa tête au lieu de les satisfaire. La plupart des gens sont ainsi. Ne l’avez-vous jamais remarqué ?
[De l'autre côté du mur]
Il avait été trompé, dupé sur toute la ligne ! Il avait lu, il avait tourné des pages, il avait dévoré du papier et là derrière, par-delà l’infâme muraille des livres, il y avait eu la vie, des cœurs s’étaient enflammés, des passions s’étaient déchaînées, le vin et le sang avaient coulé, il y avait eu des amours et des crimes ! Et il n’avait rien entendu de tout cela, il n’avait participé à rien, il n’avait rien eu en mains, rien d’autre que de minces ombres plates et du papier, rien que des livres !
[L'homme aux livres]
Comment était-il possible que nous connaissions si mal notre âme, que nous nous retirions si rarement en elle !
Tu le sais, nous sommes toujours partis du principe que, sur la Terre, les événements obéissent sans exception à la loi de cause à effet ; il est donc aussi impossible de modifier si peu que ce soit l’avenir que d’apporter le moindre changement au passé ; l’avenir est, lui aussi, soumis aux arrêts de la loi de causalité, il est donc déjà là, seulement nous ne le voyons et ne le goûtons pas encore.
On devrait toujours satisfaire ses désirs. Car, voyez-vous : ainsi on est quitte envers eux. Et ce envers quoi on est quitte ne vous tourmente plus. Je vous souhaite le bonsoir.
Moi aussi j’enfonçais mes racines, je buvais la terre, je mangeais ce monde primitif et germais dans l’obscurité solennelle de la génération ; le temps et la forme étaient abolis, tout était commencement, tout germait, il n’y avait ni hommes ni plantes.