Il m'aidait pour les devoirs, il m'entraînait au calcul mental et m'expliquait pourquoi il faut une majuscule après le point : parce qu'un point, ce n'est pas une virgule, le point, c'est la fin, et celui qui veut rebondir après la fin ferait mieux de voir les choses en grand. Car qui a envie de commencer petit ?
Le bon Dieu n'a-t-il pas inventé l'innocence pour qu'elle se fasse piétiner, écraser ici-bas... sur cette terre ? Les faibles et désarmés ne se font-ils pas bousculer par les forts ? Matraquer, violer, humilier, enculer ? Voire à certaines époques exterminer ? Vrai ou faux ?
Un minuscule petit bout d'homme tout maigre, l'épaule gauche tombante, comme si deux mille ans d'exil, de souffrance avaient choisi cette seule épaule pour s'y accrocher. L'épaule gauche, la plus proche du cœur.
Un antisémite, c'est comme un cancéreux. A un stade trop avancé, ça ne sert à rien d'opérer.
Je parle de croissance et de devenir. Raconte comment les hommes et les plantes s'enracinent. Et pourquoi.
Il y a la résurrection des vrais morts, et celle des faux vivants.
Itzig Finkelstein s'était trop souvent métamorphosé déjà. L'innocent nourrisson autrefois appelé Max Schulz était devenu un petit chasseur de rats. Le chasseur de rats, un jeune homme instruit. Le jeune homme instruit, un barbier. Le barbier, un SS. Le SS, un génocidaire. Le génocidaire... Itzig Finkelstein, petit trafiquant du marché noir. Et maintenant ? Le petit trafiquant Itzig Finkelstein était devenu un pionnier, de retour chez lui, combattant pour la liberté.
Je ris et je dis:"c'est hautement improbable.La plupart des génocidaires courent toujours. Certains sont a l'étranger.La plupart sont retournés au pays, comme au bon vieux temps. Vous n'avez pas lu les journaux ? Ils se portent a merveille,les génocidaires ! Ils sont coiffeurs. Ou autre chose. Beaucoup ont leur propre commerce. Beaucoup possèdent des usines, sont de gros industriels. Beaucoup se sont remis à la politique, siègent au gouvernement, sont respectés, considérés, ont une famille".
Un antisémite, c'est comme un cancéreux. A un stade trop avancé, ça ne sert à rien d'opérer.
— Y a juste ton nom qui cloche, a dit ma mère. Tu devrais le changer.
— On s'en fout du nom, a dit Slavitzki. Ce qui compte, c'est le sang et la foi. Je suis pas un Polack.
— T'es quoi, alors ? a demandé ma mère.
— Un vrai Allemand, aryen pur et dur, a dit Slavitzki. Mes ancêtres étaient des Allemands de l'étranger, d'où le nom polonisé.
— Ah bon, je savais pas, a dit ma mère. Pourquoi tu m'en a jamais parlé ?
— Parce que je suis pas un vantard, moi.
— Et t'as des preuves… pour tes ancêtres, tout ça ? a demandé ma mère. T'as un arbre généalogique certifié conforme ?
— Rien du tout, a dit Slavitzki, mais je suis prêt à prouver ma mauvaise foi, et la mauvaise foi d'un Allemand, c'est du costaud.
— Oui, a dit ma mère, bien dit !