Citations sur Le Nazi et le Barbier (69)
À cette époque-là, je n'étais encore qu'un petit poisson. Je m'étais vendu au diable. Avec mes bottes et mon uniforme, je m'étais accroché à la roue de l'Histoire, mais je ne pesais pas lourd. Qu'est-ce qu'un petit poisson ? Qu'est-ce qu'un uniforme ? Et qu'est-ce qu'une paire de bottes ? Mais les millions de petits poissons, avec ou sans uniforme, avec ou sans bottes, tous ces petits poissons qui à l'époque ont dit OUI et qui comme moi se sont accrochés à la roue de la fortune... Ce sont eux qui l'ont mise en mouvement.
- Je ne lis pas les journaux, dit Madame Holle. C'est rien que des bobards.
Madame Holle voulut continuer son chemin, mais le garçon ajouta :
«vous savez, ils reviennent des camps.
- Tu veux dire... ceux qui... il en reste ?
- Oui, dit le garçon. Vous avez lu les journaux ?
- Je ne lis pas les journaux, dit Madame Holle. C'est rien que des bobards.
- Six millions de Juifs assassinés, dit le garçon.
- Des bobards, Willy», dit Madame Holle.
- Tu sais, Anton, a dit ma mère, chaque jour tu ressembles un peu plus au Führer - avec ta mèche sur le front et ta moustache. D’ailleurs on dit qu'il en avait une aussi longue que toi, sauf qu'il n'utilisait pas d'élastique. Mais comme il est végétarien, elle s'est ratatinée.
Un antisémite, c'est comme un cancéreux. À un stade trop avancé, ça ne sert à rien d'opérer.
Là-bas il y avait une salle de tribunal. Où se tenait un procès. Le procès de Max Schulz.
Debout devant mon juge. Debout devant Lui, l'Unique et L’Éternel.
Et l'Unique et L’Éternel demande : "Es-tu le génocidaire Max Schulz ?"
Et je dis : "Oui je suis le génocidaire Max Schulz."
- Es-tu circoncis ?
- Non je ne suis pas circoncis. Le petit bout de peau a repoussé. En chemin. En venant ici.
- As-tu le cœur d'un rabbin ?
- Non. Il est tombé. En chemin. En venant ici. J'ai retrouvé mon propre cœur.
- Où est ton faux tatouage d'Auschwitz ?
- Disparu.
- Ton tatouage SS ?
- Revenu. Là ou il y avait la cicatrice.
- Es-tu réellement le génocidaire Max Schulz ?
- Je suis réellement le génocidaire Max Schulz.
Et l'Unique et L’Éternel demande : "Coupable ? "
Et je dis : "J'ai suivi le courant. J'ai juste suivi le courant. Comme d'autres. A l'époque c'était légal.
- C'est là ta seule excuse ?
- Ma seule excuse.
- Et ton plafond fêlé ?
- Pas de plafond fêlé.
- Coupable ?
- Coupable.
- Veux-tu que justice soit faite ?
- Oui. Que justice soit faite. Moi, Max Schulz, j’attends la juste sentence d'un juste."
Et l'Unique et L’Éternel proclame d'une voix de stentor : " Ainsi je te condamne !"
Mais moi, je dis : "Minute! Faut d'abord que je te demande un truc.
Et l'Unique et Éternel dit : "Demande. Mais fais vite."
- T'étais où ? A l'époque ?
- Comment ça .. à l'époque ?
- A l'époque .. pendant la mise à mort.
- De quoi parles-tu ?
- La mise à mort des sans-défense.
- Quand ça ?
- A l'époque ! "
Je demande : "Tu dormais ? "
Et l'Unique et L’Éternel dit : " Je ne dors jamais !
- T'étais où ?
- Quand ça ?
- A l'époque.
- A l'époque ?
- Si tu ne dormais pas, t'étais où alors ?
- Ici !
- Ici ?
- Ici !
- Et tu faisais quoi si tu ne dormais pas ?
- A l'époque ?
- Oui. A l'époque."
Et l'Unique et L’Éternel dit : " J'ai été spectateur."
- Spectateur ? C'est tout ?
- Oui, spectateur, c'est tout.
- Alors ta faute est plus grande que la mienne, je dis.Et si il en est ainsi, tu ne peux pas être mon juge.
- Très juste, dit l'Unique et L’Éternel. Je ne peux pas être ton juge.
- Très juste ! "
L'Unique et L’Éternel dit : "Très juste.".
Je demande : " On fait quoi maintenant ?
- On fait quoi ?
- On a un problème ! "
L'Unique et L’Éternel dit : "Oui. On a un problème."
Et L'Unique et L’Éternel descendit de sa chaise de juge et se plaça à mes côtés.
Nous attendons. Tout les deux. La juste sentence. Mais qui pourrait la prononcer ?
Avec mes bottes et mon uniforme, je m'étais accroché à la roue de l'Histoire, mais je ne pesais pas lourd. Qu'est-ce qu'un petit poisson ? Qu'est-ce qu'un uniforme ? Et qu'est-ce qu'une paire de bottes ? Mais les millions de petits poissons, avec ou sans uniforme, avec ou sans bottes, tous ces petits poissons qui à l'époque ont dit OUI et qui comme moi sont accrochés à la roue de la fortune... ce sont eux qui l'ont mise en mouvement.
Un minuscule petit bout d'homme tout maigre, l'épaule gauche tombante, comme si deux mille ans d'exil, de souffrance avaient choisi cette seule épaule pour s'y accrocher. L'épaule gauche, la plus proche du cœur.
Et moi, Max Schulz, j’ai toujours été un idéaliste. Mais un idéaliste d’une espèce particulière. Un idéaliste qui sait changer son fusil d’épaule. Quelqu’un qui sait que la vie est plus facile du côté des vainqueurs que des vaincus. C’est comme ça. Que je sois maudit si ce n’est pas la vérité.
Passons sur les années de ma tendre enfance jusqu’à l’été 1914 : rien à signaler. À part peut-être la Grande Guerre. Elle arrivait à point nommé pour sortir les honnêtes gens des rues Schiller et Goethe de leur train-train quotidien.