Avec "
La Baïne", roman de Éric
Holder qui n'est toutefois pas son meilleur livre, nous voici transportés dans l'estuaire de la Gironde avec ses ciels et ses couleurs, ses gens et ses paysages, ses rouges-queues et ses abat-d'eau, ses bacs et ses marées, ses épis roses et ses orages, ses chasses et ses pêches, ses immortelles et ses fougères, ses crevettes et ses civelles, ses humeurs et ses mots, je cite, mais sans l'accent qui conviendrait : sortie de baïne et grave, chablis et carrelets, mattes et grépins, drolles et gavays, rebeisons et landescots.
Preuve qu'on peut, en littérature, et exemplairement dans ce roman, allier le populaire et, comme dit plaisamment un ami, le qualiteux.
On ajoutera, et ceci n'est certes pas une qualité commune à tous les écrivains, cette qualité, donc, délicate et fraternelle, dont Éric
Holder fait preuve au fil de tous ses livres depuis
La Belle Jardinière (c'est en tout cas le premier que j'ai lu, juste avant Bruits du coeur), celle d'aimer ses personnages, je dis bien « aimer ». Car Éric
Holder sait les aimer vraiment (tant d'écrivains, soit dit en passant, qui s'en moquent, de leurs personnages, s'en moquent et les moquent) et il manifeste cet amour, cette empathie, dans chaque page, par chaque page, il sait les aimer, autrement dit les comprendre et les accepter ; parce qu'il sait que les personnages ingrats n'existent pas : pas d'humains ingrats, non, de même qu'il n'existe de paysage ingrat que pour qui ne sait regarder. Éric
Holder, nouvel habitant de la Gironde, pays adopté, bougrement adopté, l'habite vraiment, et comment, et combien, avec cette curiosité enthousiaste qui lui fait nommer jusqu'aux modèles des machines à vendanger Braud je-ne-sais-plus-combien et agace Juliette, lectrice du Matricule des anges rétive à l'anachronique médoquine Oui, Éric
Holder, pour qui « le bonheur est dans le près », sait regarder et dire cet autre estuaire, le plus grand d'Europe, d'où partit Lafayette pour soutenir les insurgés américains et sur les deux rives duquel s'élèvent des vins d'exception, cet estuaire de vignerons, blayais ou médoquins, charentais ou bourgeais, cet estuaire que le vent remonte pour nettoyer le paysage, cet estuaire de pêcheurs, cet estuaire de chasseurs, cet estuaire d'hommes et de femmes si finement observés, écoutés, et dont il parle, dont il écrit si bien, si juste, dans jamais d'affèterie parce qu'avec Éric
Holder, toujours, depuis toujours, et je ne sais pas dire mieux, c'est pointé juste, oui, c'est ça, je crois, son style, sa façon, son talent : du pointé juste.