Il faut être demeuré dans un lieu bas pour savoir qu'il est dangereux de s'élever très haut. Il faut être resté dans l'obscurité pour savoir qu'on est ébloui par une lumière vive.
Il faut s'être tenu dans la quiétude pour savoir qu'on se fatigue en aimant le mouvement. Il faut avoir gardé le silence pour savoir qu'on s'épuise à trop parler.
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Mieux vaut être inapte* et préserver sa nature vraie dans la liberté que d'être capable et s'épuiser au travail en récoltant l'ingratitude.
(Livre I - n°55, p.38)
*Eloge de l'inutilité apparente, inspiré du taoïsme. On lit par exemple dans le Laozi (ch.XLV) : "L'habileté supérieure semble inhabile." Ce peut être aussi affirmé en esthétique comme un charme sans apprêt.
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Pour dominer les contrariétés, commençons par notre propre humeur. Si elle reste impassible devant les contrariétés, celles-ci n'auront pas prise sur nous.
(Livre I - n°38, p.33)
Lorsque la lampe faiblit et que les voix de l'univers se taisent, c'est le moment pour nous de trouver le calme.
Lorsque les rêves de l'aube se dissipent et que le monde ne s'agite pas encore, c'est le moment de sortir de la torpeur.
Si nous profitons de ces instants pour entrevoir notre nature réelle et ouvrir notre cœur à la lumière*, nous comprenons alors que nos sens sont des carcans qui nous emprisonnent et nos passions des machines qui nous commandent.
(Livre I - n°146, p.68)
* Expression bouddhique qui signifie "réfléchir la lumière en soi". Cf 'Entretiens de Lin-tsi' : "retourner sa vision vers soi-même" (l’œil étant conçu comme lumière) (trad. P. Demiéville, Fayard, 1972).
Celui qui plie les choses à sa volonté ne se réjouit pas plus de les obtenir qu'il ne s'afflige de les perdre. Il est partout à l'aise dans le vaste monde.
Celui qui s'est soumis à l'emprise des choses s'irrite si elles lui sont contraires et s'y attache trop si elles le favorisent. Un seul cheveu suffit pour le ligoter.
L'oiseau resté longtemps caché est sûr de voler haut.
La fleur éclose avant les autres se fane aussi plus vite.
Savoir tout cela nous éviterait bien des déboires et
nous ferait bannir tout zèle intempestif.
Pour dispenser des bienfaits, il convient d'être parcimonieux d'abord et généreux ensuite. Si vous faites le contraire, on oubliera vos bontés.
Pour exercer une autorité, il convient d'être sévère d'abord et indulgent ensuite. Si vous faites le contraire, on vous reprochera votre cruauté.
L'adversité et les épreuves sont le feu et l'enclume avec lesquels on forge un homme de valeur. S'il le supporte, il en bénéficiera corps et âme. S'il ne le supporte pas, il va à la ruine.
Il n'est pas nécessaire de rechercher la joie, il suffit d'éviter tout motif d'amertume pour que la joie existe d'elle-même.
Livre premier, 151.
Un honnête homme doit se surveiller sans relâche. Sinon il se laisse troubler par les choses et n'a plus de goût pour les loisirs et la tranquillité.
Il doit mettre un frein à ses ambitions, sinon il s'enlise dans les choses et perd le ressort de l'aise et de l'entrain.