Mélangez la vérité et les mensonges, et vous ne pourrez plus les
différencier.
Les humains ont une maladie, cette manie de bouger, jusqu'à ce qu'ils se heurtent à un obstacle. Et alors, soit ils creusent un tunnel dans cet obstacle, où ils le traversent en bateau, à moins qu'ils ne l'escaladent...
Je me souviens de mon premier cours, on avait du rencontrer de nouveaux clients, dont les exigences étaient soit irréalisables, soit carrément stupides, voire les deux. C'est là que j'ai su que je n'étais pas fait pour ça.
Alors tu t'es engagé en politique, dit Anna en riant.
Ouais, bien vu.
Le monde est cruel. Il l'a toujours été. J'ai passé ma vie à trouver les moyens de le rendre meilleur, de le réparer, à rêver d'un idéal. Mais pour chaque optimiste dans mon genre, il y a dix acharnés prêts à tout détruire. El il suffit qu'un seul d'entre eux ait de la chance.
Avant les enfants étaient notre héritage, pas vrai? C'était l'occasion pour nous de tromper la mort , en laissant derrière nous ces petits morceaux de nous-même. Mais maintenant, on est§re que ça puisse être nous , tout simplement.
Et puis, il y avait la routine, abrutissante. C’était la castration de la pensée, le train-train quotidien d’un employé qui observait la pendule en bavant, pointait en sortant, s’endormait devant la télé, tapait trois fois sur son réveil le matin, et rebelote. L’absence de week-ends n’arrangeait rien. Il n’y avait pas de jours chômés. C’était six mois de travail et des décennies de repos.
Raison qui le rendait jaloux des autres silos, où les couloirs devaient résonner de rires d’enfants, de voix de femmes, de la passion et du bonheur qui manquaient cruellement à cet endroit. Ici, il ne voyait que stupeur, des dizaines de pièces communes avec des films passant en boucle sur des écrans plats, des dizaines de paires d’yeux qui clignaient dans des fauteuils confortables. Personne n’était véritablement éveillé. Personne n’était véritablement vivant. Ça aussi, ça devait être fait exprès.
Personne ne connaissait personne.
- Par ici
Et donc tout le monde pouvait être n'importe qui.
- Nous y voilà.
Au point que n'importe qui pouvait se retrouver aux commandes. Quelqu'un qui pouvait faire ce qui était correct, ou alors quelqu'un qui pouvait faire ce qui était juste.
- Très bien.
Un nom aussi bien que n'importe quel autre.
Ces souvenirs étaient censés lui échapper, devaient se prendre dans les tentacules des médicaments pour disparaitre sous la surface.
Ses souvenirs s'évanouirent comme des rêves au petit matin, et il sentit que son emprise sur tout ce qu'il avait connu jusqu'alors lui échappait.
Ca lui évoquait une cérémonie inaugurale, un grand tralala où l'homme venu couper le ruban avec ses grands ciseaux se voyait remercier pour le dur labeur d'autres personnes.