p.556.
Il avait envie de faire savoir à Thurman qu’il l’avait considéré comme un père, mais cela avait-il encore un sens quand un père pouvait vous maltraiter autant qu’il vous aimait ? Il voulait lui crier à la figure tout le mal qu’il avait commis, mais il savait au fond de lui que ce mal était fait depuis longtemps et qu’il était irréversible. Enfin, une partie de lui avait envie de demander l’aide de Thurman, de libérer cet homme de son pode ; une partie qui voulait prendre sa place, se rouler en boule et se rendormir – une partie qui trouvait qu’être le prisonnier était bien plus facile que de rester de garde.
p.430.
Il se disait que la barbarie contenue dans ces murs appartenait au passé et qu’on ne devait jamais l’en exhumer ni la répéter.
p.251.
- Il vous aimait beaucoup, vous savez.
- Non, je l’ignorais… Il ne me l’a jamais fait savoir, en tout cas.
- Ce n’était pas son genre, dit Erskine en esquivant un sourire. Très doué pour discerner le caractère des autres, beaucoup moins pour communiquer avec eux.
p.233.
…il songea à ce monde meilleur, consterné par celui qu’il connaissait. La promesse d’un ailleurs accentuait les défauts de son quotidien.
p.231.
– Le temps, oui. Ça c’est sûr qu’il y en a. Mais il y a aussi des vestiges. Je me souviens d’une époque où la vie était plus agréable. Il faut parfois penser aux mauvaises choses pour se rappeler les bonnes.
p.206.
- J’ai tué beaucoup d’hommes pendant la guerre, mais seulement une fois pour sauver une vie. Pour le reste, on ne savait jamais vraiment ce qu’on faisait quand on appuyait sur la détente. Peut-être que le gars que tu vas descendre ne trouvera jamais sa cible, ne fera jamais de mal à qui que ce soit. Peut-être qu’il fera partie de ceux qui jettent leurs fusils, se mêlent aux civils et retournent vers leur famille, vendra du manioc près de l’ambassade et discutera basket avec les soldats postés devant. Un homme bien. On ne sait jamais. On tuait ces hommes, et on ne savait jamais si on le faisait pour une bonne raison.
p.180.
Rien ne changera tant qu’on ne provoquera pas le changement, avait-il dit avec sérieux.
p.179.
Son père disait que c’était l’espoir qui guidait leurs pensées, pas la peur. Quand les gens parlaient de la fin qui approchait, c’était avec un sourire qu’ils avaient du mal à cacher.
p.155-6.
Il ne voulait pas se rappeler. Tel était l’ingrédient secret : ne pas vouloir se rappeler. Ces souvenirs étaient censés lui échapper, devaient se prendre dans les tentacules des médicaments pour disparaître sous la surface. Mais à présent, une infime partie de lui mourait d’envie de tout savoir à nouveau. Un doute le rongeait, l’impression d’avoir laissé derrière lui une part cruciale de lui-même. Et cette infime partie de lui était prête à le noyer tout entier pour avoir des réponses.
p.132.
Voilà la récompense à laquelle on avait droit si on faisait l’effort de se souvenir, songea-t-il. Cet homme avait dévié de la routine de l’asile. Il n’était pas fou, il avait eu un accès de lucidité. Il avait ouvert les yeux et vu à travers la brume.
[…]
il se demanda s’ils ressentaient ce que lui éprouvait, ne serait-ce qu’en partie. Et si tous ne jouaient qu’un rôle ? Et si chacun d’entre eux dissimulait les mêmes doutes, sans qu’aucun n’en fasse part parce qu’ils se sentaient tous terriblement seuls ?