Elle savait pourtant que les rivalités fraternelles étaient normales ; ses psychiatres de beaux-parents l’avaient rassurée un certain nombre de fois sur ce point. Mais quel crédit accorder aux théories sécurisantes de ceux dont les fils se déchiraient quotidiennement ?
Picoler ? Ça veut dire tâter du goulot, lever le coude un peu trop souvent tu vois, boire trop d'alcool si tu préfères…
— Moi aussi à ton âge je me suis souvent bagarré. Parfois on r’grette après, mais sur le coup, ça semble la seule option. Et parfois, hé hé, c’est même la bonne ! lança-t-il, ragaillardi par quelque histoire de son lointain passé.
La satisfaction pouvait se lire sur son visage brusquement déformé par une expression rageuse. Et il reprenait la réalisation de ses désirs pervers sur le corps de l’adolescente. Avec un peu plus de sadisme chaque fois. Si bien qu’au bout d’un moment, pour se soustraire à la souffrance, l’esprit de Juliette se dissocia tout à fait de son enveloppe corporelle. Elle n’éprouvait déjà plus grand-chose lorsqu’il resserra ses doigts autour de son cou fragile.
Il n’était pas violent, seulement électrisé par un désir animal. Pour elle, un certain plaisir psychique venait de sa satisfaction à éveiller un tel désir chez un homme mûr, mais c’était à la fois effrayant et physiquement très douloureux. On l’avait prévenue. Elle serrait les dents et se répétait qu’elle était désormais une femme pour se donner du courage. Tandis qu’il s’enfonçait au plus tendre de sa chair, Donald lui soufflait des paroles crues à l’oreille. Elle n’était pas certaine de bien entendre. Il n’était pas violent, seulement débordé par une jouissance bestiale.
À seulement quatorze ans, elles s’essayaient au langage des adultes. Ni l’une ni l’autre n’avait couché en réalité, ni même n’avait réellement envisagé de faire l’amour avec un garçon, encore moins avec un homme plus âgé. L’amitié fusionnelle des deux adolescentes expérimentait là ses premières dissonances. À cause d’un garçon, comme souvent.
Et bien la vie lance parfois des signaux… Il n’est jamais trop tard, comme on dit...
L'art n’était jamais gratuit, il avait des choses à dire au monde, des messages forts à faire entendre. Et l'artiste qu'il était ignorait encore si cette femme, aussi subtile qu’elle paraissait dans son savoir-faire, était en mesure de les entendre. Il lui présenta bien sûr les choses un peu différemment : — J’ai peur que tu n’aimes pas, avait-il expliqué, avec humilité.Cela ne posa pas problème à Agathe qui avait une compréhension et un respect peu commun de l’univers de l’autre. Mais autant elle aimait ce côté sombre et mystérieux, l’insaisissable qu’elle percevait chez lui, autant elle se posait pas mal de questions sur le personnage, sur sa vie et dans une moindre mesure sur ses intentions. Riche des expériences amoureuses qui lui avaient été confiées sur la table de massage et de la sienne propre, Agathe pensa même que peut-être elle avait affaire à un homme marié.Ils se retrouvèrent au restaurant d’un hôtel à quelques centaines de mètres de son lieu de travail, Le Grand Amour, comme une évidence, dans le 10ème arrondissement.
La vie n’est pas une tragédie grecque.
L’ennemi, bien embusqué, attaque parfois à la dernière minute.