Commençons, dans un souci de clarté, par les références de l'édition : elle est de 1977, éditeur Carcanet de Manchester, traduction d'
Anne Pennington, introduction de
Ted Hughes. On y retrouve les recueils suivants (les
poèmes complets de 1943 à 1976) : "Bark" [Écorce], "Unrest-Field" [Le champ de l'intranquillité], "Secondary Heaven" [Paradis secondaire], "Earth Erect" [La Terre se dresse], "Wolf Salt" [Sel de loup], "Raw Flesh" [Chair crue], qui sont complets, plus des
poèmes isolés de "The House on the Highroad" [La Maison près de la grande route] et de "The Iron Garden" [Le Jardin de fer].
L'oeuvre de
Vasko Popa a eu plus de retentissement dans les pays anglo-saxons qu'en France, où un recueil a toutefois été traduit, moins complet. L'ambition d'exhaustivité du recueil permet de se rendre compte de son évolution, que je résume schématiquement : le premier recueil rappelle un peu
Francis Ponge (la citation donne une bonne idée de son contenu), les deux suivants sont plutôt métaphysiques, le quatrième traite plus spécifiquement de son pays, la Serbie, et du sentiment national, le cinquième file la métaphore du loup et de son rapport à l'homme, le sixième traite du village où vivait le poète, les derniers extraits deviennent plus universels.
Les premiers
poèmes sont souvent très réussis : on part d'un élément commun (la mousse, la poule, le pissenlit) pour arriver, dans une forme très brève, à esquisser une réflexion abstraite, comme sur cette mousse, qu'on imagine remplir le monde. La suite, éclairée par la glose historique de la traductrice, est imprégnée de Saint-Sava, suivi d'une meute de loups, image des ancêtres du poète, qui, dit-il, leur parlaient plus facilement qu'aux hommes. Enfin, les derniers recueils, mes préférés avec les premiers (mais il en va souvent ainsi avec les éditions complètes), cheminent à partir du local (
Vasko Popa faisait partie de la « municipalité littéraire » de Vershats) vers l'universel : on y trouve des allusions aux camps de concentration, ou à d'autres poètes,
Nikolaus Lenau, par exemple, si bien que les tout derniers changent même de décor, se retrouvent au Mexique pour une dédicace à
Octavio Paz. Noter qu'en filigrane, le livre n'est pas dépourvu d'humour, malgré ses descriptions souvent tragiques, notamment de massacres historiques.
Un bref ajout un peu plus personnel :
Vasko Popa faisait partie de la minorité roumanophone de Serbie (si, si, cela existe !), comme Ioan Baba ou d'autres, dont les textes, même en roumain, sont hélas, quasiment introuvables. À ses débuts, il a écrit aussi en roumain, si bien que ses
poèmes ne sont pas tout à fait complets, n'ayant pas tous été écrits en serbo-croate. Je traduis ci-dessous, pour les personnes intéressées, un poème qu'il a écrit en roumain en 1947 :
Attablé avec la tristesse
Si le vin pleure
si le vin rit
tu te tais
et mentent les fleurs
Va-t'en avec le violon
les yeux fermés
ne reviens plus
va-t'en
Dehors il neige
le rêve laisse des traces
ne rêve pas
Et le ciel qui est dans le verre
lui aussi est étoilé
Si le vin chante
tu te tais
Avec qui danse
mon sourire ?
Dis-leur, s'il te plaît
d'oublier que chanson je suis
Il a du blé vert me dis-tu
Entre les paupières
Dehors il ne neige plus
à qui la faute
si le vin s'en va
ne les rappelle pas
[La masã cu tristețea
Dacã vinul plânge
dacã vinul râde
tu taci
Și florile mint
Pleacã cu vioara
cu ochii închiși
nu te mai 'napoia
pleacã
Afarã ninge
visul lasã urme
nu visa
Și cerul din pahar
și el are stele
Dacã vinul cântã
tu taci
Cu cine danseazã
zâmbetul meu ?
Te rog sã le spui
sã uite cã sunt cântec
Zici cã are grâu verde
între gene
Afarã nu mai ninge
cine-i vinovat
dacã vinul se duce
tu nu-i chema]