Citations sur Un chien à ma table (212)
Ramper dans le noir de la forêt, se croire perdue, sentir sous sa main du mouillé qui vit, ensuite seulement on pense que c’est de la mousse.
Beaucoup de vapeurs aussi, d'humeurs, de nuées, de buées, de nuages, et de vent, une grande respiration.
la profonde odeur de neige, de vase et de loup qui remonte d'un chien mouillé
Est-ce qu’il y a quelque chose à faire contre celui qui monologue sous les mots ? Qui nous utilise ? Nous domestique ? Contre celui qui ne parle que pour parler ? Contre sa logorrhée ? Est-ce qu’on peut être autre chose que la niche du langage qui soliloque en nous sous les mots ?
Personne n’a de réponse à ça.
(pages 276-277)
D’ailleurs, la maison tremblait sous le vent du nord. Et moi, j’avais la sensation que nous avions traversé la vie en tremblant et en nous cachant comme deux bêtes, et que nous avions croisé beaucoup d’autres bêtes tremblantes et cachées, et que nous étions enfin dans notre tanière. Vieux et à l’abri. Un abri d’urgence fait de rien. Rien, c’est le mot. Et si c’était ça le secret de cette maison que j’avais voulu vidée de tout sauf de l’essentiel ! Le feu, l’eau, le bois.
(page 239)
Les mots, les oiseaux ensemble liés, fragiles, abîmés, décimés par nous, ça, je le ressentais très fort. Quand est-ce que tout avait commencé ? Sans doute bien avant qu’on s’en aperçoive. À quel moment tout s’était-il mis à foirer, visiblement ? Qu’est-ce qui s’était joué dans notre dos dont on avait ignoré les signaux lugubres ?
(page 178)
Ne te laisse pas aller au vertige, tends quand même l’oreille, ouvre tes yeux, continue d’écrire. Parle du grand désordre du monde ; mesure-toi au présent ; écris ce que tu vis, écris la mort de tout ce qui vit, des forêts transformées en usines à bois ; des prairies en usines à herbe ; parle de l’épuisement de leurs sols, parle de leur dévastation. Fais vite.
(page 130)
Yes n’était pas une chienne bien élevée. Et pas si gracieuse que ça. Pas si fragile non plus. Une petite brute. Une bombe. Une petite bombe d’enfer. De l’énergie pure. Je n’étais pas si gracieuse non plus. J’avais le corps charpenté d’un arbre, d’un vieil arbre qui avait perdu le sens de l’équilibre, un peu vacillant, mais avec de l’imagination et un reste d’énergie. On allait ensemble.
(page 98)
S’il avait été encore en vie, Tolstoï défendrait les rivières, les forêts, les prairies, comme autant de « personnes », esclaves du capital, exténuées, mourantes sous le joug des humains.
(page 84)
Nous l’étions tous les deux. C’était flagrant. D’étranges vieillards abritant un enfant. Des vioques. J’aime beaucoup ce mot, vioque, il dit l’effarement insoluble de l’enfant qu’on est resté.
(page 71)